"Marignan", de la portée d'une bataille


spécialiste des XVième  et XVIième siècles, Didier Le Fur s’est rapidement imposé aussi pour le public des amateurs comme l’historien des guerres d’Italie via les biographies qu’il a proposé de Charles VIII, de Louis XII et d’Henri II. On signalera aussi que cet historien s’était fait connaître  par sa thèse sur les images des rois de France pendant les guerres d’Italie ; élément d’importance qui revient constamment au cours de ses travaux et ici dans cette synthèse sur Marignan. Marignan justement : tout le monde connait la date (1515, merci à nos instituteurs et institutrices), tout le monde sait qu’il s’agit d’une bataille. Peu savent qu’elle s’inscrit dans un conflit (les guerres d’Italie) de longue durée (la première moitié du seizième siècle) entre les rois de France, la papauté, les suisses et les Habsbourgs (dont les armées sont absentes à Marignan). Il s’agit ici d’un des moments (il y en aura d’autres) où la France aspire à l’Empire (à prendre au sens romain, celui d’imperium) sur le reste de l’Europe.

 

Marignan, l’évènement et sa signification

 

Dès son avènement, François 1er, qui a hérité de Louis XII un royaume riche et en paix (malgré les guerres d’Italie), décide de revendiquer le duché de Milan perdu en 1513 et dont sa femme est héritière. Par une diplomatie habile, il réussit à isoler le duc de Milan, Maximilien Sforza, l’empereur Maximilien et l’Espagne (qui dispose  du royaume de Naples). Il rassemble une armée, faite de lanciers français et de mercenaires lansquenets allemands et décide de partir pour l’Italie, accompagnés de ses meilleurs généraux dont son cousin le connétable Charles de Bourbon (qui le trahira quelques années plus tard). L’armée  passe par le col de Vars, contourne le massif du Queyras, puis descend vers l’Italie par la vallée de la Stura : Parcours inédit et périlleux que l’armée de François 1er franchit après moult incidents. Face à eux, les suisses, salariés par le pape (via le cardinal de Sion) et le duc de Milan (de moins en moins sûr de sa position). Le roi français négocie avec les suisses et réussit à obtenir un traité avec eux : certains cantons retirent leur contingent, d’autres refusent. Puis c’est la bataille, qui dure deux jours et que les français gagnent grâce à l’intervention de l’armée vénitienne (qui joue ici un rôle similaire à celui de Blücher à Waterloo). François 1er a gagné son pari (temporairement).

 

Propagande royale

 

Comme on l’a vu précédemment, Didier Le Fur est un spécialiste de la propagande royale via les images que les rois de France véhiculaient. Marignan, c’est aussi une occasion pour Le Fur de revenir sur ces thèmes. François 1er déploie beaucoup d’efforts pour sa cause apparaisse comme relevant de la guerre juste, seule admise par le christianisme. Il se présente, dans sa revendication du duché de Milan, comme le défenseur des droits de sa femme Claude, héritière des ducs de Milan via son père Louis XII. Les images et les spectacles montés lors des entrées du Roi à Lyon en 1515 revendiquent cette explication et présentent le royaume de France (sous les traits d’une jeune vierge) comme l’agressée et non comme l’agresseur dénoncé par ses ennemis. Notons ici qu’il s’agit ici d’un domaine historiographique négligé très longtemps par les historiens et totalement ignoré du grand public, qui aide à comprendre ce seizième siècle naissant, où des figures antiques comme Hercule ou la licorne ont été récupérées et utilisées à des fins idéologiques par les propagandistes de François 1er.

 

Ses mêmes propagandistes accablent les suisses, présentés par le pape Jules II comme les « correcteurs » des Rois, et les dénoncent comme des brutes avides d’argent, sans paroles et frustres, loin des nobles guerriers du Royaume de France. Marignan est présentée comme une victoire du droit (à ce titre, François 1er ne cesse de revendiquer l’investiture donnée à son prédécesseur Louis XII par l’empereur Maximilien) et d’un souverain présenté bientôt comme l’Empereur des derniers temps, celui qui récupérera la Terre sainte et préparera le retour du Christ. Marignan n’était qu’une étape dans l’esprit de François 1er qui aspirait à l’Empire… Une autre histoire que Didier Le Fur raconte  dans sa récente biographie de François 1er.

 

Une époque méconnue

 

Ce Marignan est remarquable dans la réflexion qu’il propose sur le destin et le souvenir d’une bataille qui devint un élément essentiel de la légende des rois de France (et de François 1er, roi chevalier), avant d’être intégré dans le roman national créé par les historiens de la IIIième République. Moins précis dans sa partie militaire que la récente synthèse d’Amable Sablon du Corail, cet ouvrage est cependant essentiel pour la compréhension d’une époque – et d’un homme, François 1er- et de l’idéologie d’une monarchie finalement mal connue.

 

Sylvain Bonnet

 

Didier Le fur, Marignan, Tempus Perrin, janvier 2015, 400 pages, 10 €

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1 commentaire

Blandine

saperlotte! quelle érudition!  intéressant en tout cas, même si , avec le recul, les rêves d'Imperator à 2 balles du roi de France semblent relever d'un ego surdimentionné assez banal chez tous les dirigeants, passés et actuels . Par contre trois choses sont fascinantes pour l'époque:

 1/ : la prégnance  du droit international (une guerre doit être" juste" pour être permise par l'autorité suprême de l 'époque, l'Eglise, qui joue ainsi un rôle moral et juridique comparable à notre ONU actuel)

2/ l'existence de communicants professionnels travaillant et  influençant l'opinion publique avec une rouerie et une malhonnêteté digne des Séguéla/Fouks actuels

3/ l'expertise et l'efficacité exceptionnelle de la diplomatie française, qui , partant d'une cause foireuse, retourne les alliances et achète les armées étrangères avec une rare maestria, ce qui nous fait bien défaut par les temps qui courent.