"Ce pays qui aime les idées", débattons jusqu'à ce que mort s'ensuive

La France vue de l’étranger


La France connaît actuellement une grande « dépression » morale, intellectuelle à laquelle Sudhir Hazareesingh est loin d’être indifférent tant sa proximité avec notre culture est grande. Il s’est imposé depuis une vingtaine d’années comme un spécialiste de l’histoire des idées et des mythes nationaux avec des ouvrages tels que La légende napoléonienne (Tallandier 2006), La saint Napoléon (Tallandier 2007) où Le mythe gaullien (Gallimard 2010). L’auteur de ces lignes se souvient de l’avoir croisé lors d’un colloque d’histoire napoléonienne où Sudhir Hazareesingh avait marqué l’assistance tant par son flegme tout britannique que par sa maîtrise du français. Car nous avons ici un francophile britannique qui se penche (entre autres) sur l’histoire des idées en France avec tout ce que cela peut impliquer d’a priori, d’idiosyncrasies, de jugements à l’emporte-pièces… reste que « notre cher et vieux pays » a tout à gagner à lire le point de vue d’un étranger sur nos débats culturels qui intéressent le monde entier (aucun français ne doute bien sûr des répercussions universelles des débats qui agitent notre pays).


Du cartésianisme à la French Theory


En bon britannique, Hazareesingh identifie la théorie de Descartes (avec son fameux cogito ergo sum) comme la source de la pensée française : de Descartes proviendrait notre tendance à l’abstraction (loin du pragmatisme à l’anglo-saxonne, terme si spécifiquement français) et à notre obsession de la conceptualisation, typique de notre esprit critique. Après Descartes, notre auteur nous emmène jusqu’aux tenants du structuralisme et de ses avatars (Foucault, Derrida, Althusser) et quel panorama ! On se demande comment la France opère pour enfanter tant de penseurs abstraits ! sans compter qu’à notre penchant pour les idées absconses s’ajoute le goût pour une pensée « holiste » qui se retrouve même chez nos nationalistes tel Charles Maurras. Il est clair que notre universitaire anglais brasse beaucoup d’idées (lui aussi : le voilà prêt pour vivre et intégrer la nation française !). Pour être abrupt, il énonce pas mal de lieux communs plutôt datés (la critique de notre tendance à l’abstraction remonte au moins au 18e siècle et à Edmund Burke) et beaucoup de vérités : comment démêler le bon grain de l’ivraie ?


Travers nationaux


Les français parlent beaucoup, débattent… parfois pour ne rien dire, au nom d’idées qu’ils manient avec d’autant plus de dextérité qu’on se demande s’ils y croient vraiment (en cela, François Mitterrand fut véritablement un intellectuel typiquement français, comme Bernard-Henri Lévy). Certains ont parlé d’idées creuses… Reste que notre pays a lancé des débats extrêmement importants d’un point de vue « humaniste » depuis deux siècles. Selon M.Hazareesingh, la France revendique une vocation universelle (et ce bien avant la Révolution) qui correspondait à sa position de grande puissance jusqu’en 1940… son déclin actuel la pousse à « déprimer » car elle a plus de prise sur l’évolution du monde (et il est vrai que la tournure néo-libérale actuelle ne va guère dans son sens) : force est de reconnaître que notre intellectuel britannique n’a pas tort. Après avoir dominé les campus américains des années 60-70, la France est-elle condamnée au naufrage intellectuel ? Sudhir Hazareesingh consacre une dernière partie très sévère à nos « déclinistes » actuels, notamment au polémiste Eric Zemmour et au philosophe Alain Finkielkraut.


L’avenir dira où la France (et le monde ?) tombera.

 

Sylvain Bonnet

Sudhir Hazareesingh, Ce pays qui aime les idées, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Marie-Anne de Béru, Flammarion « Au fil de l’histoire », août 2015, 480 pages, 23,90 €

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