"de Gaulle et Mitterrand, la bataille des deux France", deux destins


De Rocard au « florentin »

 

Journaliste politique, Robert Schneider a été rédacteur en chef du Nouvel Observateur. On lui doit nombre d’ouvrage sur la gauche et ses leaders , qui dénote chez lui une évolution politique. Schneider s’est d’abord intéressé à la deuxième gauche  dont le Nouvel Observateur était proche : il a ainsi consacré une biographie à Michel Rocard (stock, 1987), avant de retracer l’opposition constante de ce dernier à François Mitterrand, qui tourna à la détestation personnelle (La haine tranquille, 1992). Depuis, il s’est passionné (un de plus !) pour le premier président socialiste et a même consacré un livre à sa famille (Les Mitterrand, Perrin en 2009). Aujourd’hui, il revient sur sa rivalité avec Charles de Gaulle. Rien d’original : en 1990, Alain Duhamel s’était livré au même exercice dans La marque et la trace. Si l’exercice de la comparaison est légitime, que peut nous apprendre Robert Schneider ? De plus, mettre face à face un héros de l’histoire et un homme politique plus ordinaire  - quel que soit ses talents, nombreux dans le cas de Mitterrand-, n’est-ce pas finalement un peu vain ?

 

Deux rivaux historiques

 

Robert Schneider narre avec talent leurs différentes rencontres. On reste finalement surpris que le Général, après l’avoir vu à Alger en 1943, n’élimine pas politiquement Mitterrand. Comme l’auteur l’indique, il est fort possible qu’il ait reconnu son potentiel, malgré son ambition dévorante. Il le nomma même secrétaire général aux prisonniers de guerre dans le premier gouvernement de la Libération. Quant à Mitterrand, tous ses proches s’accordent sur un point : derrière ses critiques et son opposition virulente se cachaient de l’admiration pour la haute figure de de Gaulle. C’était loin d’être le cas de Gaulle qui n’avait que mépris pour « l’arsouille », lui reprochant de s’être compromis à Vichy sans compter l’attentat de l’observatoire (piège monté certainement par des milieux proches de Michel Debré). Pourtant, il refusa d’utiliser lors de la campagne de 1965 la photo de Mitterrand reçu par Pétain car il n’excluait pas que ce « politichien » lui succède un jour… ce qui s’est effectivement passé !

 

Etaient-ils si différents ?

 

Robert Schneider se risque finalement à un exercice passionnant : recenser leurs différences et surtout leurs points communs. Mitterrand et de Gaulle sont issus de la même France catholique, barrésienne, provinciale. Tous deux vouaient un culte à leur mère, tous deux ont grandi dans une atmosphère patriotique. Tous deux étaient aussi persuadés de leur destin. On ne peut qu’être troublé de ces points communs qui amène le journaliste à poser la question suivante: et si, finalement, cette ressemblance d’origines n’avait pas contribué à les opposer ?

 

Il s’agit ici d’un très bon ouvrage journalistique qui aide surtout à comprendre les ressorts de ces deux personnages exceptionnels, quel que soit l’avis du lecteur (le bilan des deux septennats socialistes est pour le moins contrasté, voir la biographie de Michel Winock sur ce point). Au final, on pensera que François Mitterrand avait raison : c’est en s’opposant à un grand personnage qu’on se grandit. Et il en tira le plus grand bénéfice.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Robert Schneider, de Gaulle et Mitterrand, Perrin, Octobre 2014, 241 pages,  17,90 €

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2 commentaires

Mitterrand, l'auteur du pamphlet anti-gaullien Le Coup d'Etat permanent fit siennes les mêmes idées qu'il reprochait à son aîné. C'est beau, la politique... 

" et si, finalement, cette ressemblance d’origines n’avait pas contribué à les opposer ? " La thèse est aventureuse, et même franchement tirée par les cheveux, habituellement, les similitudes d'extraction et d'éducation font exactement l'inverse et rapprochent les gens....



Ensuite, Sylvain termine sa chronique par une phrase  remarquable (et il a raison, tant cette phrase aide à comprendre F. Mitterand) :  "c’est en s’opposant à un grand personnage qu’on se grandit"

Cette citation révèle mieux que 25 bouquins psychologisants le caractère profondément opportuniste de l'individu, et son absence de convictions profondes : pour se donner une stature, il serait allé contester n'importe qui du moment que ça lui aurait permis de "grandir".  Mais que Diable  ne s'est -il opposé à Pétain, un incontournable "grand personnage",  héros de la Grande guerre, mais sinistre fossoyeur de la République? Il y aurait gagné une incontestable aura, au lieu de magouiller à la petite semaine pour des places dans le remugle  de l'Etat Français à Vichy? Ce type là ne s'est pas opposé à la bonne personne, et tout son talent (et la complicité active des medias) n'a consisté qu'à le faire oublier ensuite.


Et puis, il n'y a pas que les intentions egocentriques, la méthode utilisée compte aussi : s'opposer à un type aussi probe et désintéressé que  le grand Charles en le présentant comme un apprenti dictateur dangereux pour la démocratie relève, plus que la mauvaise foi, d'une indigne malhonnêteté, qui ne peut que déshonorer son auteur, si c'était encore possible.


Dans cette optique, cette phrase finalement  très "utilitaire", et  glorifiant l'opposition pour l'opposition -être contre pour exister-  est à double tranchant, et l'avenir la renvoie comme un boomerang à ceux qui l'ont fait leur : une fois qu'on est un devenu" grand personnage", on devient à son tour la cible de tous les ambitieux qui veulent "se grandir" ( les  Rocard, Chirac, Balladur, Mélanchon, etc..), et, bien mal acquit ne profitant jamais,  ils finissent toujours par avoir votre peau.  Juste retour des choses. C'est bien la seule morale qu'il y ait en politique.