"Frédéric II', Roi, Empereur et mythe

Un historien qui a des tripes

Médiéviste reconnu, Sylvain Gouguenheim a suscité la polémique en 2008 avec les racines grecques de l’Europe chrétienne, Aristote au mont saint Michel. Il y remettait en cause l’idée selon laquelle les moines chrétiens auraient redécouvert la philosophie et la science des grecs grâce à des traductions arabes : les principaux manuscrits antiques avaient subsisté selon lui en occident (ou à Byzance). Il  privilégiait, dans l’analyse des causes de la Renaissance, la dynamique interne de l’Occident par rapport à d’éventuels apports extérieurs.


Au-delà de cette polémique, Gouguenheim est aussi un très bon historien, auteur d’un excellent ouvrage sur la bataille de Tannenberg (celle de 1410) ou sur les chevaliers teutoniques. Avec Frédéric II de Hohenstaufen, il aborde le genre biographique en prenant un gros risque : la figure de l’empereur allemand ayant déjà fait l’objet d’un ouvrage devenu mythique, celui d’Ernst Kantorowicz. Un bien rude défi…


Un personnage “bigger than life


Petit-fils de Frédéric Barberousse et héritier des Hohenstaufen, également descendant des rois normands de Sicile, Frédéric II est véritablement un personnage hors du commun. De son vivant, il s’était imposé comme le principal souverain de la chrétienté après s’être fait reconnaître empereur du Saint Empire (la défaite d’Otton IV à Bouvines face à Philippe Auguste l’y ayant grandement aidé).  Maître d’un Empire morcelé, partagé entre différents princes laïcs ou ecclésiastiques, Frédéric II devait aussi sa position à son titre de Roi de Sicile ( c'est-à-dire la Sicile et l’Italie du sud) qu’il organisa comme un Etat centralisé, un peu à la façon des capétiens. Il prit comme modèle Charlemagne et également les empereurs romains (sa titulature le montre), affirmant ainsi sa prééminence en Occident. Ses conflits avec la papauté, malgré le succès de sa croisade (il reprit Jérusalem pratiquement sans combats et grâce à sa diplomatie), eurent cependant raison de ses ambitions. Il mourut excommunié, déposé par le pape et sa descendance perdit peu à peu toutes ses possessions.


La mythologie de Frédéric II


Sylvain Gouguenheim donne comme sous-titre à son ouvrage « un empereur de légendes » et avance un grand nombre d’éléments à l’appui de cette thèse. De son vivant, Frédéric II fut, à cause de ses conflits avec la papauté, accusé d’hérésie, d’athéisme, de satanisme. Dans les années qui suivirent sa mort, nombre de faux Frédéric apparurent et réclamèrent la couronne impériale. Sa figure traversa les siècles, devenant un modèle pour certains grands seigneurs (son ouvrage sur la fauconnerie y contribua) et pour certains souverains (comme Guillaume II). Après la première guerre mondiale, Ernst Kantoriwcz fit de lui un exemplum à l’attention des jeunes nationalistes allemands (alors que Frédéric II fut tout autant un prince italien et sicilien), bientôt récupérable par le IIIième Reich… le 20ième siècle en fit ensuite un prince tolérant religieusement, ouvert à l’Orient et à l’Islam. A chaque époque son Frédéric II, nous dit Gouguenheim qui souligne ainsi les limites de certaines biographies. Voici en tout cas un ouvrage brillant et stimulant sur un souverain largement inconnu du grand public français.

 

Sylvain Bonnet


Sylvain Gouguenheim, Frédéric II, Perrin, août 2015, 400 pages, 24 €

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