Heidegger, Philosophe et nazi

Un débat brûlant

 

En fait, depuis sa mort en 1976, Martin Heidegger n’a pas cessé de susciter le débat parmi les intellectuels (surtout occidentaux) quant à la profondeur de son engagement en faveur du troisième Reich d’une part et de la proximité de sa philosophie (dont  l’ouvrage être et temps reste la version la plus achevée) avec l’idéologie nationale-socialiste. Et ce débat touche particulièrement la France où la la pensée de Heidegger a été accueillie favorablement après-guerre, grâce en particulier à Sartre (l’influence croisée d’Heidegger et de son maître Husserl sur l’être et le néant de Sartre est indiscutable).

 

La récente publication des cahiers noirs a remis la question de son antisémitisme sous les feux de l’actualité et a amené certains des partisans du philosophe à réviser certaines de leurs positions… La biographie de Guillaume Payen se propose de redonner vie à un itinéraire riche, paradoxal. A la fois historien et philosophe, l’auteur bénéficie a priori de tous les atouts pour réussir son entreprise.

 

Un parcours intellectuel allemand ?

 

Guillaume Payen nous restitue avec beaucoup de détails les débuts du philosophe : son enfance rurale à Mekchich dans une famille catholique, ses études à Constance. Sa mère destinait le jeune Martin à la prêtrise mais, à cause d’une maladie cardiaque aux origines psychosomatiques, les jésuites le refusèrent. Heidegger fut en tout cas durablement marqué par la foi catholique qui instilla en lui un anti-modernisme militant. La rencontre d’Elfride Petri, sa future femme, protestante, poussa progressivement Heidegger à rompre avec son milieu d’origine, en même temps qu’il se tournait vers la philosophie.

 

Nazisme et philosophie

 

Comment Heidegger, auteur d’être et temps, un temps proche de la phénoménologie d’Husserl, maître et amant d’Hannah Arendt, a-t-il pu devenir un nazi ? Et sa philosophie même en est-elle la cause ? Telles sont les questions qui hantent Payen et tous les partisans d’Heidegger. Le biographe avance plusieurs arguments : le philosophe partageait certains thèmes avec l’extrême droite « volkisch » (l’importance donné à la petite patrie, le heimat, ou la crainte du déracinement) et identifiait les juifs (sous l’influence de sa femme mais pas seulement) comme les agents d’une modernité qu’il abhorrait. Ainsi Heidegger se prononça pour l’anéantissement des juifs (même si Guillaume Payen précise bien qu’il ne s’agissait pas d’un appel à un génocide physique, comme l’a par exemple soutenu Emmanuel Faye) par haine d’une modernité qui rongeait selon lui la culture et le peuple allemand. Le cas de Martin Heidegger est là pour nous rappeler que le nazisme attirait aussi des gens très cultivés et très intelligents.

 

Heidegger et la France : un deuil douloureux

 

S’il compta avant-guerre Emmanuel Levinas dans ses auditeurs, c’est comme on l’a vu après-guerre que l’auteur d’Etre et temps attira à lui nombre d’intellectuels français, dont certains venaient chercher dans sa pensée un antidote contre le marxisme alors dominant. Ami de René Char, il effectua plusieurs conférences en France et s’attacha beaucoup à la Provence. La philosophie "heideggerienne", malgré sa complexité et son ésotérisme, fut enseigné à nombre de générations en Khâgne et à Normale sup. C’est pourquoi, selon notre biographe, les révélations des cahiers noirs sont aussi difficiles pour les français. Voici un livre en tout cas très clair, foisonnant de détails pour comprendre un débat très actuel.

 

Sylvain Bonnet

 

Guillaume Payen, Heidegger, préface de Jean-Paul Bled, Perrin, janvier 2016, 680 pages, 27 €

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