Charles Martel et la bataille de Poitiers, une lecture revigorante

Un duo d’historiens engagés


On doit aux éditions Libertalia, éditeur engagé à gauche, d’avoir permis de lire la magistrale synthèse de Robert Tombs sur la Commune. Cette fois-ci, un duo d’historiens, William Blanc et Christophe Naudin, s’attaque à la déconstruction du mythe  (qualifié d’identitaire dans le titre) développé autour de la bataille de Poitiers et de son vainqueur Charles Martel. Blanc et Naudin ont déjà collaboré sur un ouvrage collectif, Les historiens de garde (Inculte, 2013).


Une date fondatrice ? Et de quoi ?


Que s’est-il passé au fond en 732 (ou 733, la date n’est pas si certaine) à Poitiers ? Notre duo d’historiens démystificateurs resitue avec clarté l’évènement dans son contexte, celui d’une expansion musulmane qui se fait au détriment de deux empires épuisés par la guerre (Byzance et la Perse). L’expansion autour du bassin méditerranéen se fait d’abord par à-coups, puis avec une certaine minutie sous la direction des Omeyyades qui conquièrent l’Espagne en wisigothique dans les années 710. Lorsque le raid (c’est plus un raid qu’une invasion) en Gaule commence, Charles Martel, maire du palais, cherche à replacer l’Aquitaine sous la domination franque. Combattre le raid sarrasin est donc un prétexte idéal pour Charles Martel de se mêler des affaires d’Aquitaine.  La bataille qui a lieu près de Poitiers, si elle donne un coup d’arrêt aux intentions guerrières d’Abd al-Rahmân, n’a rien d’un combat de civilisation, cher à Huntington. Et nos historiens ont ensuite beau jeu de montrer que la mémoire de l’évènement est plutôt pauvre… Les sources ont surtout tendance à vilipender le grand-père de Charlemagne pour sa propension à accaparer les biens de l’Église que d'en faire un héros du Christianisme contre l'Islam.


Le but de l’ouvrage


Au fond, on a tendance à approuver la démarche générale de l’ouvrage car la bataille de Poitiers n’a évidemment eu aucun caractère décisif à l’époque et l’histoire des relations entre francs et musulmans aux VIIIièmes et IXièmes  siècles est très complexe : il y a des combats, des alliances de circonstances et du commerce. Dès le dix-neuvième siècle, Poitiers et Charles Martel ont fait l’objet de récupération politique: Édouard Drumont en faisait par exemple une victoire contre le « sémitisme » (beurk). Plus récemment, une extrême-droite capitalisant sur la peur et la méfiance nées des attentats terroristes a développé toute une propagande qui stigmatise des populations d’origine arabo-musulmanes en se servant du « mythe » de la bataille de Poitiers. Or, l’Histoire ne doit pas servir une cause, dans un sens ou dans un autre (gare aussi aux dérives historiographiques sur la culpabilisation de l’homme blanc à la Houria Bouteljda). Lisez et réfléchissez, salut et fraternité !

 

Sylvain Bonnet


William Blanc & Christophe Audin, Charles Martel et la bataille de Poitiers, éditions Libertalia, avril 2015, 328 pages, 17 €

 

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