La quête carnavalesque de Manuel Blanc

Curieux roman que ce texte de Manuel Blanc qui laisse un peu chamallow. L’atmosphère y est mouvante,  rien n’est stable, il y a quelque chose de surréaliste dans la narration à la façon des tableaux de Dali avec leurs  objets dont les contours dégoulinent et les formes s’affalent, ou de distordu comme dans les photographie d’André Kertész. 


C’est vraiment ce qui m’est venu à l’esprit en lisant ce livre. Il y est beaucoup question de regards, d’images (de soi et des autres), de captures d’instants flous, d’impressions incertaines et d'impermanence. C’est sans doute cette puissance d’évocation qui m’a le plus impressionnée, finalement plus que l’errance et la  tristesse désabusées du narrateur parti à Cologne sur les traces de son amant qui l’a quitté en lui donnant un vague rendez-vous dans cette ville. L’histoire en elle-même n’est pas grand chose, aussi dérisoire qu’est l’amour lorsqu’il file entre les doigts, et pourtant elle est initiatrice.


Le héros débarque dans la ville allemande en pleine période de carnaval, il se laisse happer par la foule et un tournage de film incertain auquel il participe sous un masque de gorille ;  c’est intéressant qu’il revête ses costumes et ses masques, qu’il se planque et camoufle sa souffrance pour ne laisser filtrer de lui que ses yeux  et ses odeurs.  Super héro et gorille cachent un riquiqui homme tremblotant de chagrin qui se demande quoi faire de sa peine et de sa colère. On est toujours petit quand on est malheureux. Le carnaval est presque un personnage à part entière, tout au moins symbolique.  Vous savez, ces jours  où tout est permis quand on n’a plus son visage, quand on mue, quand on ne sait plus très bien qui on est, où l’on se surprend à pouvoir être -ou ne pas être.


Le narrateur  ne décide rien dans cette ville où tout lui est étranger, jusqu’à lui-même, il souffre et trace son latino d’amoureux en se laissant ballotter par le flux carnavalesque et les rencontres qu’il fait. Un italien, sorte d’ange gardien qui atterrit dans sa chambre louée dans une pension bon marché cosmopolite et qui le conviera à une drôle de soirée de rencontres-phéromones, une femme du tournage qui éprouve son homosexualité et encore un photographe qui le mitraille et qui le piste lui aussi sans qu’il s’en aperçoive et ce type louche s’avérera  d’ailleurs être  la pièce maîtresse du roman, dont je ne veux surtout rien déflorer.


Manuel Blanc explore le monde de l’intime  par le prisme d’une solitude habitée. C’est déstabilisant au début, on doute, on se dit, bon…oui, ok, ok,..on a envie de prendre par la main le narrateur et le mener chez son amant qui s’envoie en l’air avec un autre pour qu’il s’explique ou lui casse la gueule, puisqu’il a retrouvé sa trace. Et  puis  au fil de la lecture, l’écriture s’affirme, la déambulation prend du sens, le texte devient captivant, et même fascinant.  La suppression quasi systématique des pronoms avant les verbes m’a un peu énervée  parce que j’ai trouvé cela trop ostentatoire à la longue, une marque de fabrique pour faire style.  Il n’empêche que je trouve que ce roman conte très bien la réalité des errances qui remettent en question l'identité et j’ai trouvé éclairé (et éclairant)  le personnage du photographe étrange, avec son incroyable demande et  ses photographies…, terribles, révélatrices  et rédemptrices.


Anne Bert


Manuel Blanc, Carnaval - Collection Stéphane Million - éditions Hugo roman - mai 2014 - 160 pages- 15 euros.

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