"La petite déesse", ailleurs et demain en Inde

L’Inde du futur

 

La parution du fleuve des Dieux  en 2004 avait attiré l’attention de beaucoup de lecteurs francophones (et de la critique) sur Ian McDonald qui, jusqu’ici, n’avait pas connu de succès marquant. Le fleuve des Dieux, roman « monstre », touffu, avec neuf personnages principaux, se déroule en 2047 dans une Inde « balkanisée », gravement affectée par le réchauffement climatique (une guerre de l’eau est sur la point d’éclater). Mais cette Inde est aussi le continent où il y a quatre fois plus d’hommes que de femmes et où vivent des intelligences artificielles, les aeais. Bref, McDonald prend la société indienne avec ses traditions (ses castes et ses dieux) et la confronte à la modernité technologique la plus délirante : on secoue le milk-shake et ça donne un chef d’œuvre. Plus récemment, il a publié La maison des derviches sur la Turquie, avec le même succès.

 

Notre auteur a cependant eu du mal à quitter l’univers du fleuve des Dieux et a publié des nouvelles s’y déroulant, rassemblées dans ce recueil. Elles prolongent les thématiques développées dans le roman et reprennent aussi certains personnages.

 

Le regard des enfants

 

McDonald utilise souvent des enfants, des adolescents comme personnages principaux. Il en va ainsi de la nouvelle éponyme, La petite déesse, qui part d’une tradition népalaise qui consiste à faire vénérer une jeune fille, appelée Kumari, incarnation d’une déesse. Pour le rester plus longtemps possible, elle prend des drogues pour retarder la puberté…. Kyle fait la connaissance du fleuve a comme personnage central un petit garçon, avec une histoire initiatique assez classique et Vishnu au crique de chats est également ancrée pour une bonne partie de son histoire dans l’enfance. Le dévoilement des ressorts de l’univers de McDonald passe donc ici par le regard de l’enfant, issu ou sujet à des manipulations génétiques.   

 

L’homme face à l’intelligence artificielle

 

Dans une interview à donnée à la revue Bifrost, Ian McDonald a déclaré qu’un de ses films préférés restait 2001 de Kubrick. De toute évidence, il a dû être marqué par le thème de l’intelligence artificielle qui baigne l’univers du Fleuve des Dieux et de La petite déesse. Dans cette Inde future vivent donc des aeais, qui conseillent par exemple les gouvernements. Mais pas seulement. Dans L’épouse du djinn, une danseuse tombe amoureuse d’une  aeai  dont elle devient l’épouse : l’histoire se terminera mal (les aeais sont capables de jalousie) mais cette nouvelle va sur le même terrain que le récent film de Spike Jonze, Her, avec autant de réussite. Autre variation sur le thème de l’IA,  Un beau parti raconte l’histoire d’un jeune homme qui se fait coacher pour ses rendez-vous par une star virtuelle de soap-opera.

 

Très ambitieuse, l’histoire de Vishnu au cirque de chats prolonge Le fleuve des Dieux (dont elle reprend un des personnages secondaires, Shahîn Badûr Khan) et a pour personnage principal  un brahmane prénommé Vishnu, enfant modifié génétiquement.  Conçu pour vivre deux fois plus longtemps (mais, du coup, son corps met deux fois plus de temps à vieillir : à 20 ans, il a un corps d’enfant de 10 ans, écho au personnage de La petite déesse), plus intelligent, Vishnu est déchiré entre la fierté de sa différence et sa volonté de s’affranchir des attentes familiales. Le récit est surtout l’occasion de nous offrir une vision du destin de cette Inde future : démiurge, McDonald se montre ici vertigineux et fait preuve d’un sense of wonder qui enthousiasme le lecteur.

 

Au total, un recueil très réussi et une preuve de plus du talent de Ian McDonald, un auteur à ne pas lâcher de sitôt.

 

Sylvain Bonnet

 

Ian McDonald, La petite déesse, Denoël Lunes d’encre, couverture de Manchu, traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Gilles Goullet, octobre 2013, pages, 22,50 €

 

Aucun commentaire pour ce contenu.