Valérie Valère, écrivain géniale décédée à 21 ans



« Dès l'instant où tu vins en ce monde de l'existence, une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir. » 

Valérie Valère est décédée, droguée, à l'âge de 21 ans. Elle est notamment connue pour son roman Le Pavillon des enfants fous publié en 1978 après un séjour de quatre mois en hôpital psychiatrique pour anorexie mentale, elle avait alors 13 ans. Elle est née en 1961.

Elle avait un superbe visage allongé, d'autant plus qu'elle avait laissé ses cheveux pousser. Elle était une très jolie jeune fille, le savait-elle seulement ?
Qui se cachait derrière cette mine ténébreuse ? Où était-elle, elle, la préoccupée ? Que faisait-elle de ses journées qui n'en finissaient pas de passer... elle écrivait, comme si chaque mot pût être un moyen de conjurer le sort, le sien. Mais quel sort au juste ? N'est-on pas libre de nos gestes… ou bien a-elle simplement suivi ?
Folle, oui elle a été traitée comme tel. Pavillon des enfants fous... elle était là en chemise blanche déambulant folle de rage à travers ces couloirs qui se ressemblaient tous : ils étaient d'une infinie tristesse. Et elle que faisait-elle là au juste ?
Sait-elle qu'un livre a été publié sur sa maladie s'intitulant La Faim de l'âme... oui, elle se serait reconnue là-dedans... son âme avait soif, faim... mais elle, elle privait son corps. Elle a commencé par perdre un, deux , trois kilos.  Puis ce fut la dégringolade. L'acte était clair : cela ressemblait à une tentative de suicide. Elle ne s'aimait pas, jamais. Elle était impitoyable pour elle-même. Elle ne se donnait même pas une deuxième chance d'aimer la vie. Il fallait que ça parte, que ça fonctionne. Pourquoi rester ? Alors elle écrivait, c'était le moins pire, c'était ce qui la tenait en vie, sous perfusion.
La plage blanche la hantait. Toujours.  Mais cette épreuve elle savait la traverser, c'était sa bouée de sauvetage en attendant mieux. Elle n'en aurait pas la patience dans tous les cas. Et personne  ne semblait la comprendre. Que ce fut dans cet appartement du 15ème arrondissement de Paris, puis celui de Dieppe, ville au bord de la mer où son père est nommé en 1968 (elle a alors 7 ans) et enfin dans un nouvel appartement du même arrondissement, le 15ème. 

Son témoignage est un « fabuleux »  guide pour toutes celles qui après elle, ont renié la vie, comme elle l'a fait. Derrière elle une flopée de jeunes femmes en mésentente avec leurs corps. Merci de leur avoir donné à lire, à comprendre et peut-être même en a-t-elle sauvées quelques unes ?

C'est à quinze ans qu'elle décide d'écrire ce document autobiographique qui raconte son enfance et son séjour à l'hôpital : Le Pavillon des enfants fous. Après son bac, Valérie Valère fait des études de lettres à la Sorbonne et continue à écrire.
Comme cette Magnificia Love dans la peau de laquelle elle se glisse, au fil des pages. Elle, la plus belle qui soit « beauté reine et souveraine ». Ainsi le portrait qu'elle en dresse : « mes après -midis libres, je les passais chez mes amis -amants. Ils changeaient toutes les semaines. Quelques fois tous les jours, je voulais séduire. Seulement séduire. Mais il me fallait toujours l'absolue certitude d'avoir séduit. Et c'était coucher. »  Est-ce vraiment ce qu'elle aurait aimé être ? Je ne le crois pas. Même si elle écrit : « Je voudrais être tout le monde, mais pas moi (…). Moi, paumée, ratée. »

Un peu plus tôt, elle écrit :
« La tasse de thé est vide. Ma tête trop pleine d'inutiles pensées. Je vais sortir. Il faut que je sorte. Quitte à envier le sort de chaque passant, quitte à vouloir me perdre dans la vie d'un autre ; ou d'une autre ; et à chercher désespérément le fil qui a tissé l'écheveau de leur vie. Moi, j'ai l'impression de ne pas en avoir, de vie. J'ai l'impression de mourir un peu plus chaque jour dans ce silence anonyme. Cette anonyme absence. »

Son anorexie, c'est un appel à d'autres nourritures. C'est une quête, une recherche spirituelle, d'élévation, un désir de liberté, un appel d'air... Le philosophe Alain écrit : « L'âme est ce qui refuse le corps. Par exemple ce qui refuse de fuir quand le corps tremble, ce qui refuse de frapper quand le corps s'irrite, ce qui refuse de boire quand le corps a soif, ce qui refuse de prendre quand le corps désire... ces refus sont des faits de l'homme. Le total refus est la sainteté ; et cette force de refus, c'est l'âme. »

Où là encore, elle en conviendrait : « La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » ( Évangile selon Saint Mathieu). Elle-même écrit : « Mon ambition n'a pas de limites lorsqu'elle a pour but de libérer mon âme. »

Ses mots sont là pour témoigner de l'incompréhension et de l'injustice dont sont accablés les anorexiques. Elle les défend. A quinze ans seulement, elle crie son mal intérieur : « Ils se sont occupés de mon âme peut-être ! Ils ont mis un entonnoir dans le bec de l'oie et ils ont déclaré d'un ton suffisant : elle est guérie ». C'est bien sa révolte qu'elle donne à entendre dans ce magnifique plaidoyer dans lequel elle dénonce sa mère : Le Pavillon des enfants fous. Elle dit que personne ne comprend ce qui lui arrive. Personne. Pour elle, elle n'est pas malade. Juste, elle ne veut plus du monde dans lequel elle vit, il ne lui convient pas, mais elle n'est pas malade, c'est le monde autour qui ne va pas.  Au médecin elle dira : « Je refuse votre aide. Je ne suis pas malade et vous le savez ». Mais on la menace : « ça suffit je vais me fâcher, te dit une infirmière, j'ai été trop gentille, ça fait un mois que tu es ici et tu n'as pas grossi d'un gramme. Alors je vais être très méchante. Si dans une semaine tu pèses toujours le même poids, on te mettra une sonde, que tu le veuilles ou non, on ne te demandera pas ton avis. »

Mais rien n'y fera. Elle ira jusqu'au bout, suivant implacablement son choix, celui de quitter la vie, ce qu'elle fera quelques années plus tard, à l'âge de 21 ans, après de nombreuses tentatives de suicide.

Laurence Viémont


> Le Pavillon des enfants fous
, Stock, 1978. France Loisirs, 1980. Le Livre de poche, 1983. Bibliothèque Hachette, 1984
> Malika ou un jour comme tous les autres, Stock, 1979. Le Livre de poche, 1983
> Obsession blanche, Stock, 1981. France Loisirs, 1981. Ed. Le Nordais, 1982. Le livre de poche, 1992
> Laisse pleurer la pluie sur tes yeux, Plon, 1987. Presses Pocket, 1988
> Vera, Magnificia Love et pages diverses, C. De Bartillat, "Gestes", 1992
> La Station des Désespérés ou Les Couleurs de la Mort, C. De Bartillat, 1992
Eléonore, C. De Bartillat, 1998

7 commentaires

Valérie Valère !!!!!!!!!!!!!!!!!! L'idole de mon enfance !!!! Je suis super émue de lire cet article, je l'avais quasiment oubliée cette fille... je ne sais même pas où j'ai mis tous ses livres et j'ai tellement envie de les relire !!! MERCI POUR CET ARTICLE !!!

Un très bel article en effet... Il y a en elle du Janet Frame qui n'aurait pas survécu en dépit de l'écriture.

J'émets juste le regret d'un titre un peu tape à l'œil et réducteur qui ne rend pas grâce à son auteur... C'est aussi contre ces étiquettes préétablies et faciles à coller quelle s'est battu toute sa vie.

C'est pour émouvoir les foules, ça marche à tous les coups !

J'ai acheté ces deux livres ,il y a déjà quelques années...et ça m'avait rendu extrêmement triste.
Je dois les relire.
Quel exploit,si jeune, de mettre des mots sur de telles souffrances!

J'ai été très impressionné par la lecture de "Le Pavillon des Enfants Fous". C'est pourquoi j'ai trouvé cet article, juste la recherche de ses autres livres.

Merci beaucoup pour toutes ces infos, juste de noter que dans cet autre site, on peut trouver tous ses romans avec des extraits et commentaires:

http://www.lascartasdelavida.com/livres_valerie_valere/

C'est dommage que la plupart d'entre eux ne sont pas réédité depuis il ya longtemps.

Superbe article. Kiki de Montparnasse permet ce retour qui est une avancée.

C'est un de mes écrivains préférés, elle est intemporelle, ses mots sont sublimes, coupant comme des lames de rasoir. A lire et à relire.