Jacques Goorma : Irrésistible/ « Je suis le grand silence qui te parle »


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Admirateur de Saint-Pol-Roux dont, exécuteur testamentaire de sa fille Divine, il a contribué à publier les inédits aux éditions Rougerie et chez Gallimard, Jacques Goorma est aussi et surtout un écrivain. Le mot peut prêter à sourire, tant cet auteur se situe aux antipodes des bateleurs littéraires qui accaparent la scène médiatique. C’est en effet un écrivain discret dont toute l’écriture tourne autour du silence, est habitée par le silence, crée du silence. Elle est portée par une expérience d’ordre extatique, au sens étymologique, vécue dans l’enfance, alors qu’il observait une éclipse. Voici comment il la relate dans « Le Vol du loriot », publié aux éditions Arfuyen : « En plongeant mon regard dans le ciel limpide, une pensée surgit. Une question que je ne m’étais jamais posée. « S’il y a un mur au fond du ciel, qu’y a-t-il derrière ? » Sitôt cette idée formulée, quelque chose d’énorme se rue à l’intérieur de moi, m’envahit et m’entraîne dans son irrésistible torrent. Un gigantesque tourbillon me fait basculer et tomber dans le ciel. Dans le même mouvement, son immensité s’engouffre en moi… » Cette expérience, il va chercher à la reproduire. Il sait qu’il faut partir du corps, que certaines postures lui sont propices, que le rêve éveillé, les yeux fermés, permet l’envol de la pensée. Puis il découvrira l’écriture et ses possibilités de « poursuivre et prolonger le ravissement du vol ».

Jacques Goorma n’est pas inféodé à une idéologie, religieuse ou non. Évoquant son expérience, qui innerve tous ses livres, je la qualifierai de « spirituelle » en dehors des religions, quelque part entre la poésie et la métaphysique. Il l’écrit si bien lui-même dans « Le Séjour », publié également par les éditions Arfuyen : « Seul l’homme défait le lien, s’égare et s’effare hors de l’unité de cette énergie qui anime la multiplicité de ses métamorphoses. Depuis, l’homme recherche ce lien qui le relie à la totalité à travers toutes formes de religions, et cette quête l’éloigne encore du vivant de la source. » L’écriture, Jacques Goorma la vit comme un rapt, un enlèvement qui l’arrache à ces préjugés qui trop souvent nous servent de pensée. Qui suis-je ? Cette question est sous-jacente à toute quête véritable. Dans ce même livre, Jacques Goorma écrit encore : « »Mon corps est un morceau tout petit, de la chair du monde, une vivante parcelle de sa viande de lumière. Mais moi, celui que je désigne en disant moi, qui suis-je donc ? Un rêve ? Une clarté ? Un regard ? Une trêve ? Un silence ? Un sourire ? Qui suis-je, sinon cette évidence d’être surgissant du néant ? Ce nulle part insituable où s’éveille l’espace et naissent tous les possibles ? »

Son dernier livre, « Irrésistible », publié aux éditions Les lieux-Dits, s’inscrit dans ce même esprit. Au départ, il a toutes les apparences d’un récit : une femme étrange s’enfuit de l’asile. C’est elle qui parle à l’auteur, qui raconte son histoire. Mais l’on comprend rapidement que ce bref récit n’est pas un récit comme les autres, qu’il est une allégorie et a valeur d’initiation. Et d’abord qui est cette femme énigmatique née lors d’une éclipse, comme en écho de l’expérience initiale de l’auteur que nous avons évoquée plus haut ? Je crois pouvoir dire qu’elle est une incarnation de « l’anima », certes dans la définition qu’en donne le psychiatre et penseur Karl Gustav Jung dont Jacques Goorma est probablement un lecteur attentif, mais aussi dans son sens premier de « souffle ». L’anima parle en lui, elle dit : Je suis souffle, parole, chant. Et le chant n’oublie pas le souffle. Et le souffle est libre à jamais. Il donne vie à la parole et la pousse dans la vie… » Dans son récit, elle se révèle en lui, l’éveille à la connaissance, « celle qui connaît la source de l’ignorance et du savoir ». L’art de l’auteur est de l’accueillir dans sa parole, de faire du poème le lieu de leur rencontre, elle qui se tient habituellement derrière les apparences : « Comme un vivant miroir, je rayonne derrière le cortège des reflets et des images de toi-même. Je suis un chemin de feu au milieu de ta nuit. Inlassablement, je te conduis vers la source du brasier. Retourne-toi. Regarde ! Où s’allume le monde, je m’enflamme. »

 

                                                                Alain Roussel

 

 

Jacques Goorma : Irrésistible, éditions Les Lieux-Dits

Autres livres de l’auteur cités dans cet article :

-Le Vol du loriot (éditions Arfuyen)

-Le Séjour (éditions Arfuyen)

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