L’homme qui n’y croyait pas de Michel Manière : Entre fantasme et chimère

Pourquoi ne pourrait-on pas conserver le postulat des parents qui imposent des histoires aux enfants pour éluder les questions embarrassantes ? Jean conçoit parfaitement que son petit frère soit descendu du ciel, une nuit, comme cela, dans un claquement de doigts, le bébé était né. Un bébé bientôt métamorphosé en fringuant jeune homme puis en adulte en devenir alors qu’il n’avait pas encore ses quatorze printemps achevés, mais dépassant de loin son aîné, voire le protégeant, des autres et de lui-même, veillant sur cet être chétif qui ne sait toujours pas nager, lui qui, pourtant, a bien ses seize ans révolus. Et survient le drame : en voulant porter secours à celui qui se noie, c’est le héraut des cœurs, le chantre de ces damoiselles qui disparaît, entraînant avec lui le père dans une dépression définitive, laissant alors le gringalet porter la honte de sa douleur infinie sous le regard attendri de sa mère, dans un silence assourdissant que seuls les rêves aident à supporter, tout plutôt que la vérité, ne pas y croire, jamais…

S’enfonçant dans le questionnement et l’étude détaillée de la vie qui s’écoulera tant bien que mal, pied de nez au destin, fatalité affichée d’une incohérence, vivre n’a pas de fin puisque chaque jour succède à la nuit qui succède au jour, Jean s’occupera de sa mère et vivra retiré dans une maison, à la campagne, pour se donner le temps. Le temps de compter les jours, et surtout d’écrire ce qu’il croit voir, ou ne voit pas ce qu’il croit être, aussi, l’autre manière de faire, d’être, de se comporter avec les autres, surtout madame Paul qui s’occupe de tout, et qui, elle aussi, porte son deuil.

Le temps d’une vaine tentative de se reconstruire, aussi, entre les bras de jeunes garçons, catharsis d’un désir impossible de revoir le frère perdu, si grand, si fort, si beau dans sa certitude, comme si l’alchimie de la perte de soi dans le plaisir pouvait le porter à croire enfin en quelque chose, à défaut de croire en lui…

 

N’allez pas croire que le dernier roman de Michel Manière soit triste à pleurer ni qu’il vous fera monter une crise d’angoisse. C’est tout le contraire ! C’est ainsi en littérature : une langue millimétrée, un rythme lent, une approche éthérée mais une ambiance apaisée. Un plaisir rare que la lecture de cet opus, preuve supplémentaire que de l’effort seul peut naître la plénitude. Non pas une lecture difficile, mais une lecture totale qui ne tolère aucun parasitage alentours. Sanctuaire du mot juste, immense qualité littéraire dans l’approche du propos qui mêle amour et sexe, culpabilité et mépris, tendresse et compassion ; tous les ressentis humains que le narrateur tente de maîtriser pour mener, tant bien que mal, la barque de sa destinée à bon port, pris dans les mailles d’un fleuve qui l’entraîne dans des tourbillons obligés. L’entrée dans la vieilles-se n’est jamais une partie de plaisir, et la solitude, même si elle est recherchée, porte en elle un corolaire que l’on ne peut nier.

 

« Comment il attendait, de même qu’enfant il avait attendu, non pas le docteur qui le soulageait de sa crise d’asthme, non pas même, dans les yeux malheureux de sa mère, piège ultime, le reflet adorable de son propre martyre, mais, ô scandale pour lui comme pour elle, sa complice, celui qui, parce qu’il en attendrait autant de lui, le délivrerait de lui-même, lui permettrait, ainsi qu’il l’avait pressenti dès l’enfance en ces instants terribles et merveilleux, ces cimes du particulier comme dit Proust, où l’on tient dans sa main toute sa vie rassemblée… lui permettrait de se quitter un peu – et avec soi, hélas, sa chère complice ! – et de s’inventer autre. »

 

Si loin des chemins mercantiles, voici un livre qui est aussi un baume. Un plaisir qui ne sera donc point solitaire puisque Michel Manière vous offre du bonheur, celui d’une lecture magnifique, servie d’une réflexion sur la destinée qui vous accompagnera bien longtemps après que vous ayez refermé le livre.

C’est un signe. Vous avez là, sans doute, l’un des meilleurs livres de l’année 2011.


François Xavier

 

Michel Manière, L’homme qui n’y croyait pas, Seuil, août 2011, 262 p.-, 18,30 euros

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