De la librairie, à Londres et à Paris


Library en anglais veut dire bibliothèque. Mais certaines bookshops britanniques ont la bonne idée de ressembler de plus en plus à des libraries .


Le vieux Paris n’est plus. Le vieux Londres non plus.


Il doit y avoir royalement six cents mètres entre Tottenham Court Road et Leicester Square, mais, il y a encore une quinzaine d’années, l’amateur de livres qui faisait le trajet à pied avait du mal à boucler l’affaire en moins d’une heure, tant les tentations étaient grandes. Des deux côtés de Charing Cross Road se succédaient en effet des librairies de toute sorte — librairies générales, librairies de livres de poche, librairies d’occasion… Tout cela s’est en grande partie évaporé. Il reste l’institution historique Foyles (même si elle s’est déplacée de quelques dizaines de mètres) et deux librairies d’occasion importantes, mais c’est à peu près tout. C’est en vain qu’on cherche cette vieille librairie grecque que sa petite vitrine bleu marine détachait du lot, ou, quelques pas plus loin, cette gigantesque librairie de livres neufs à prix réduit qui s’étendait sur une vingtaine de mètres. Pour les amateurs de journaux, la situation n’est guère plus brillante : les newsagencies se font aussi rares que les Maisons de la Presse en France.


Certains sont prompts à désigner le coupable. En Grande-Bretagne comme en France, les libraires se sont heurtés à l’ouragan Amazon, et — pour tout ce qui touche au secteur de l’occasion — à son dangereux sidekick le typhon Amazon Marketplace.


Toutefois, outre Manche, la résistance s’organise, avec une énergie qu’on ne trouve pas, en tout cas pas pour l’instant, ici. La chaîne Waterstones, avatar de WHSmith (mais la généalogie est un peu complexe, puisque les deux enseignes se sont plus ou moins rachetées à tour de rôle), vous a installé dans différents quartiers de Londres de gigantesques librairies de plusieurs étages, dont l’une en particulier, juste à côté de Piccadilly, rappellerait assez le défunt Virgin Megastore des Champs Élysées. Des livres, des livres, des livres, mais — et là s’arrête la comparaison avec Virgin — rien que des livres. Pas le moindre petit morceau de dvd ou de smartphone. En revanche, au cœur d’allées étonnamment larges, de confortables fauteuils en cuir, autour de petites tables remplies de piles d’ouvrages négligemment déposés avec soin : oui, le client peut passer toute la journée à lire dans ce bookstore s’il le désire, personne ne lui dira rien (il a même à sa disposition des toilettes si son séjour s’éternise, et parfois un café « W » à l’intérieur du magasin). Manque à gagner peut-être pour la boutique, puisque la consultation détaillée — ou la lecture complète… — d’un ouvrage risque de briser les élans d’un acheteur potentiel ? Allons donc ! Celui-ci n’achètera peut-être pas le titre auquel il songeait initialement, mais il n’en aura pas moins été piqué par le virus et il en achètera bien un ou deux autres pour la route avant de quitter les lieux. D’autant plus que certains rayons proposent de vastes sélections d’ouvrages très récents pour lesquels le second sera à 50% de son prix affiché dès lors qu’on en aura pris un premier.


Plutôt donc que de gémir et d’imputer tous leurs maux à l’amazonification du monde, les libraires français pourraient s’inspirer de cette politique aimablement « agressive » des Britanniques — avec (ré-)ouverture des magasins à partir de minuit la nuit de la sortie du dernier Murakami… — qui justifie vraiment le déplacement dans une librairie. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fameux pragmatisme anglais voit beaucoup plus loin que la profinalisation — si, si, c’est comme cela qu’on dit, maintenant — française, tout simplement parce qu’on ne saurait être pragmatique sans être foncièrement optimiste.


Il est intéressant de noter, dans le même ordre d’idée, que la crise de la librairie française semble toucher bien moins les libraires indépendants que les grandes chaînes. Parce que certains indépendants se démènent, changent leur vitrine tous les quinze jours, font de leur magasin un lieu dans lequel on a envie de pénétrer, parce qu’on a l’impression qu’il s’y passe quelque chose. Les Anglais nous rappellent une vérité élémentaire, mais, trop souvent peut-être, oubliée en France : il ne suffit pas d’attendre la clientèle ; il faut aussi l’attirer. Nous attendons avec intérêt le jour où Gibert mettra à la disposition de ses clients un coin avec fauteuils de cuir.


FAL

3 commentaires

Ah, la mythique Charing Cross Road, avec son célèbre n°84 et son hôtel du Chaudron baveur !...

Ces lieux de vie ou tout au moins de rencontre autour des livres voient le jour de plus en plus en province : espace librairie + détente, thé, parfois même expo artistes . C'est addictif comme lieu et il est vrai que cela déclenche des envies de lecture et d'achat, pour soi et pour ceux qu'on aime. Bref, oui, il faut du désir pour acheter des bouquins.  Par contre, acheter le 2ème livre récent à 50 % renvoie à une société où il faut consommer, c'est l'argument des hyper et autre super-marchés. D'autre part, le rabais de 50 % est-il appliqué sur la rémunération libraire (il touche environ 30 %) ou sur la rémunération éditeur ou encore , celle lilliputienne de l'auteur ? Bon, si 500 000 français ont dépensé 20 euros pour lire la complainte de Trierweiler, je crois qu'ils n'ont plus le droit de se plaindre que les livres sont chers...

Marrant cette vision des librairies londoniennes : quand je rentre en France, l'une des premières choses que je fais c'est d'aller dans une librairie, elles sont tellement plus agréables et moins déprimantes / uniformisées que les Waterstones... surtout pour ce qui est mis en avant, petite maison d’éditions etc... encore "l'exception française" ?