Sa vie dans les yeux d’une poupée, le nouveau thriller d'Ingrid Desjours

Tous les secrets d’une vie sont enfermés dans cet appartement où Barbara s’occupe de sa mère aveugle et passablement aigrie, qui l’insulte, la frappe, l’accuse d’être la cause unique du départ de son mari… drôle de couple, vivant dans l’odeur morte d’un monde rance, jamais aéré et dans la couleur bleue d’une télévision toujours en marche. Pourtant Barbara fait des miracles de gentillesse, pour compenser. Et puis elle vient de décrocher son diplôme d’esthéticienne, elle va pouvoir travailler, aider encore un peu plus, et gagner peut-être un peu d’indépendance, devenir une femme et non plus l’enfant esclave de sa propre mère.


Seul jardin secret de Barbara, ses poupées, une cinquantaine, qu’elle cajole autant qu’elle peut. C’est en sortant de la boutique pour acheter celle qu’elle convoitait depuis longtemps, économisant sous après sous, cette Sweet Doriane qu’elle espérait tant, qu’elle coupe par le square pour gagner dix minutes et éviter le courroux maternel… qu’elle se fait violer par un porc… La douceur et la beauté vont être souillés et Barbara s’évade en pensée pour ne pas fixer ce moment dans sa vie, se laissant servile : alors, elle voit Sweet Doriane qui lui parle et lui promet un avenir radieux si elle acceptait de devenir autre, de se transformer en vamp et de se venger des hommes.

 

Reprenant du service après un grave accident de la route, Marc est un flic colérique et provocateur, qui ne mâche pas ses mots mais force l’admiration par sa culture et son hypermnésie. Il retrouve Ange Gardeni, son ange gardien (les noms des personnages de ce roman sont des anagrammes, celui-ci est le plus simple…) et plus vieux camarades. Marc est muté aux mœurs, plonger dans les bas-fonds de l’âme humaine lui fera peut-être penser à autre chose qu’à son corps cabossé, à la perte de sa femme, à la vie qu'il joue à la roulette russe chaque soir.

Une prostituée opère, elle subjugue ses clients, les attache et ensuite les détrousse. D’abord sans violence, puis  se laissant aller à une pulsion de moins en moins contrôlable en les énucléant. Marc est persuadé qu’il faut agir vite, que les crimes vont aller croissant dans l’horreur et qu’il y aura bientôt une série de meurtres sanglants.

 

Barbara se transforme en Barbie, sur-femelle lascive pour renaître et s’extraire de la gangue de l’appartement. Marc va redevenir un être humain et retrouver dans son cœur la beauté qui l'avait quittée...

 

Deux personnages que tout oppose, deux monstres isolés dans une société qui ne les épanouit pas. Et les forces qui les font s’attirer l’un l’autre dans un tourbillon qui ne pourra finir qu’en une apothéose sanglante et pourtant magnifique. 

 

Ingrid Desjours a l’art de poser les choses petits à petit, de creuser ses personnages, de vivre avec eux et de nous les rendre attachant, si parfaitement humains quoique monstrueux. Thriller psychologique, et d’autant plus angoissant, où les crimes ne sont pas détaillés, sauf en de rares notations qui donnent leur vraie valeur à l'horreur des scènes — il n’y a rien et c’est terrible —  Sa vie dans les yeux d’une poupée est à réserver aux âmes peu sensibles, qui auront quand mêmes quelques surprises et autant de sueurs froides...


Loïc Di Stefano

 

Ingrid Desjours, Sa vie dans les yeux d’une poupée, Plon, mars 2013, 328 pages, 17 euros


3 commentaires

Je vous remercie pour cet article...Vous  décrivez parfaitement la montée en puissance des personnages Barbara et Marc,...Montée en puissance de leur monstruosité mais aussi de notre attachement à des personnes marquées, détruites par des agressions violentes parce que cela peut arriver à n'importe qui vous, moi.... Ces deux personnages sont d'une fragilité sans nom mais possèdent une force incroyable et Ingrid Desjours arrive par une écriture fluide , précise, d'une exactitude et connaissance magistrale à parfaitement nous montrer l'évolution de l'état de folie de Barbara et Marc....Nous les suivons pas à pas dans leur folie, l'écriture est telle que nous pouvons voir, être à côté d'eux, les images des scènes, des endroits nous apparaissent , elles nous sautent au visage. La psychologie, les caractères des personnages secondaires est aussi bien écrite/décrite que pour les personnages principaux...Rien n'est laissé de côté...Pour cela je dis Bravo Ingrid Desjours et merci pour ce Thriller d'une très grande qualité à tout niveaux.

Avec une entrée de plein fouet dans un monde sordide à souhait, Ingrid DESJOURS nous plonge tout de suite dans le vif du sujet.
La claque assénée, elle insiste la dame Desjours… la vie de Barbara ne s'arrête pas à ce fait « d'hiver » qu'elle enfouit au plus profond de son âme mais qui ne la lâchera pourtant jamais. Témoin de la scène, une poupée !!! Sweet Doriane sera alors le moyen de communication de Barbara et de Barbie avec le monde réel, cette petite voix de l'intérieur, celle qui pousse au-delà des limites, qui fait sortir de ses gonds, cette pauvre Barbara qui ne maîtrise pas ces trous de mémoire, ces absences… et qui pourtant de temps en temps devient ce vrai monstre de vengeance, celui qui se souvient…
A la lecture de ce livre, j'ai souvent pensé à Darling de Jean Teulé, et au fait qu'à chaque « horreur » supplémentaire on se dise, bon c'est pas bientôt fini !!! Et bien non, on en rajoute toujours une couche, toujours plus sombre, jusqu'au final…
Alors forcément Barbara, on s'y attache, et comme Marc on voudrait l'aider mais on sait qu'il n'y guère de solutions, le traumatisme est là… les faits aussi…
Pas de répit dans cette histoire, des chapitres courts, une écriture fluide qui glisse toute seule. Des mots percutants, pas de langage châtié… la vraie vie sordide avec les vrais mots pour la décrire.
Vous aimiez les poupées, pas sûre que vous les regardiez encore du même œil (enfin s'il leur en reste…)
Merci Ingrid !!!

Sa vie dans les yeux d'une poupée sort au format poche en juin 2014 (Pocket, 7,30 eur)