Monsieur Toussaint Louverture... éditeur 2/2



Vous avez poussé la coquinerie jusqu’à monter sur le Net un site (monsieurtoussaintlouverture.net) tout aussi désopilant, avec de vrais faux livres comme ces Essais que je compte écrire et faire publier chez MTL dans les années à venir de Pierre-Alain Malmasson (un pseudo ?), dans lequel on trouverait La farandole des cons ou La stratégie du tueur de bisounours pour finir parComment faire comprendre à ses amis que leurs enfants sont stupides (et qu’ils feraient mieux de les vendre à un laboratoire)ou encore l’Éloge des fesses féminines. Ou de véritables fausses nouvelles réellement crédibles (celle de Lacan, par exemple).
Finalement, vous ne pouvez pas être sérieux plus de cinq minutes ?


J'essaye, car pour faire lire comme pour faire écrire, le travail doit être là, et chaque fois que mes livres ne trouvent pas de lecteurs, c’est à cause d’un déficit de travail. D’un autre côté, cette tendance drolatique qui teinte un peu tout ce que je publie est un biais supplémentaire pour m’adresser aux lecteurs, pour leur dire, regarder les livres, ouvrez-les, ils ne vous feront pas forcément tous rire, car tous sont différents, mais ça ne veut pas dire que moi je ne peux pas le faire, en essayant aussi sincèrement que possible de vous les tendre. Le site Internet est un moyen de faire lire des petites choses amusantes, c’est une structure éditoriale autonome, qui avance à son rythme, propose toutes sortes de choses et dont l’ouverture est sans limites.

Alors cette fois, une très belle photo de Dominique. Euh, non ! Toujours Frederick Exley. On oublie les images et on revient à nos moutons. Cher berger, si tout le monde se fout des auteurs oubliés, puisqu’ils sont oubliés, comme le précise un encart dans votre catalogue, pourquoi pas vous ? Pourquoi ne leur fichez-vous donc pas la paix, et ne les oubliez-vous pas, au lieu de les rééditer ?


Comme beaucoup d’autres éditeurs, je me concentre sur les littératures un peu en dehors du spectre du visible, soit les auteurs encore invisibles, soit les auteurs dont la lumière ne nous parvient plus. Ce qui recouvre donc les auteurs contemporains français ou étrangers pas encore connus, en devenir, les auteurs étrangers ou français passés à la trappe ou tout simplement ignorés.


Parce qu’ils sont dans le domaine public ? Finalement, c’est le compteur que vous regardez, vous aussi, comme les autres ? Moi qui vous prenais pour le Robin des Bois de l’édition, je suis déçu...


Le compteur est malheureusement une clé incroyablement importante, un levier essentiel au travail. Au tout début, j’avais un mantra là-dessus (j’avais des mantras sur tout, ce qui est fort utile, enfin, je crois) : "Nous aimerions qu’ils (nos livres) soient gratuits à faire." Aujourd’hui, nous allons enfin pouvoir nous lancer, nous avons fixé ce compteur trop longtemps, nous avons enfin dégagé de quoi démarrer une production régulière et sans compromis, et nous allons le faire, avec un plaisir non dissimulé.


Le catalogue fait apparaître un ton pour le moins décalé, fantaisiste, inventif, poétique, trash, où l’humour s’associe à la SF. Vous ne publiez jamais de textes écrits "normalement" ?


Comme je le disais plus haut, nous fouillons, comme beaucoup d’éditeurs, au-delà du spectre habituel de l’édition, peut-être allons-nous encore un peu plus loin que d’habitude. Personnellement, j’ai un vrai penchant pour toute histoire touchante qui en plus travaille sur la forme elle-même de l’écriture et des livres. Les livres et les textes qui s’interrogent aussi, en plus de leur caractère narratif.


Pourquoi si peu d’auteurs français ? Sont-ils si coincés dans leur (non-)style ou ont-ils peur d’être dans une maison iconoclaste ?


Je ne sais pas, nous recevons pourtant des manuscrits, mais j’ai beau lire et relire, je ne trouve pas souvent l’étincelle que j’y cherche. Je suis très content des auteurs français que j’ai publiés, ils ont placé la barre très haut à mes yeux, et j’attends qu’on me surprenne, qu’on me captive. Pour le moment, même si quelques textes vont dans ce sens, je n’ai pas encore eu de réel coup de cœur. 
Et s’il y a quelque chose que je ne ferai pas, c’est m’engager avec un auteur dont je ne serai pas séduit par le texte au point de le défendre contre vents et marées. Quand je m’engage avec un auteur, ce n’est pas seulement de façon contractuelle, je lui apporte tout ce que je peux pour que son texte devienne un livre parfait, capable de trouver son lectorat. Et ça passe bien souvent par de longues phases de maturation du texte, de dialogues, d’échanges, de crises et de partages. Mais au final, le texte est là, fort, solide, étonnant. 
D’ailleurs, je continue à travailler avec les auteurs que j’ai déjà publiés, mais rien n’est jamais gagné d’avance, eux et moi sommes tout aussi exigeants. Moi, vis-à-vis de leur texte, et eux, vis-à-vis de ma franchise et de la qualité de ma lecture et de mon travail.


Quel grand projet, autre que ces livres "à paraître (un jour)" ? Une bombe littéraire ? Une pamphlet ? Le roman de l’année ?


Le roman de l’année est A Fan’s Notes de Frederick Exley, une perle et une bombe tout à la fois. A Fan’s Notes est l’autobiographie (à peine) romancée d’un fou littéraire alcoolo fanatique de football US. Frederick Exley mène une vie de poivrot provincial et prolétaire, frôlant parfois la folie sans jamais se départir de son désir de trouver, parmi les fragments de ce “malaise” qu’est sa vie, une forme littéraire. C’est un texte incroyable, tout à la fois, dur, touchant, drôle, bien écrit, et qui est resté sous le radar littéraire français depuis les années 1970, alors qu’il est à la fois culte et classique aux États-Unis. 
S’il y a un personnage, un antihéros dont on se souviendra, c’est bien Frederick Exley, qui sait dans ce livre tout nous dire de lui et d’une galerie de personnages totalement étonnants, en ne se préoccupant que d’une chose, qu’on lise page après page le livre qu’il a écrit.


Maintenant que l’on se connaît, je peux vous appeler Dominique, s’il vous plaît ?


"Monsieur" Dominique.


François Xavier


Propos recueillis par échanges de courriels entre le 10 et le 25 juin 2010

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