Claire Gratias nous parle de son thriller fantastique Orphans

Rencontre avec Claire Gratias à l’occasion de la sortie de son nouveau roman jeunesse Orphans, Double disparition, premier tome d’une trilogie policière sur fond de fantastique (à moins que ce ne soit l’inverse…)

 

 

Dans quelle catégorie littéraire peut-on selon vous ranger Orphans ?

 

Je suis quelqu’un qui aime bien le mélange des genres, aussi bien dans les livres que je lis que dans ceux que j’écris. Je me suis lancée dans l’écriture avec trois polars, mais dès le deuxième, Le Passager de l’orage, j’ai introduit un élément fantastique. Avec Orphans, on est à la frontière des genres. Au départ, on est dans le quotidien d’un adolescent qui va au lycée, organise des fêtes avec ses copains, se « prend un peu la tête » avec ses parents, aimerait qu’ils lui laissent plus de liberté et lui fassent davantage confiance. Et brusquement, il va se retrouver projeté dans un univers parallèle et sa vie va basculer. Où est-il ? Que lui est-il arrivé ? Qui est derrière tout ça ? Pourquoi lui et pas un autre ado ? Pour répondre à ces questions, l’intrigue se développe en suivant deux axes principaux, l’un s’apparentant à la science-fiction et l’autre au roman policier, puisque le lecteur va pouvoir suivre une double enquête, ce qui permet deux fois plus de rebondissements !

 

À quelle tranche d’âge s’adresse Orphans ?


Je dirais : aux lecteurs amateurs de bonnes histoires, de 12 à 112 ans !

Aujourd’hui, on assiste à l ‘émergence d’une littérature pour young adults (ça fait toujours mieux d’utiliser un mot anglais). Mais la frontière tend à s’abolir entre la littérature jeunesse et la littérature adulte. J’écris pour cette frange. En même temps, cela me gêne toujours de « saucissonner » le lectorat en tranches d’âge. Pour moi, il y a de bons et de mauvais livres, des lecteurs timides et des dévoreurs de livres, peu importe leur âge…

 

Pour la création des personnages, vous avez votre « bible » (*) ou vous écrivez au fil de la plume ?

 

J’ai des carnets, dans lesquels je note les grandes lignes des personnages, des lieux. Et comme je ne sais pas dessiner mais que le visuel est très important, je vais récupérer des images sur Internet qui correspondent à ce que j’ai dans la tête, je les découpe et les colle dans mes carnets.

Il y a deux types d’auteurs, ceux qui savent dès le départ qu’ils partent d’un point A pour arriver à un point B, et qui font un plan très détaillé, type Balzac. Moi je me sens plus proche de Louis Aragon, qui disait « Je n’ai pas écrit mes romans, je les ai lus. Croyez-moi, je n’ai jamais su qui était l’assassin ». Je trouve ces deux phrases géniales.

Je pars avec mon idée, relativement vague, je me lance, l’important ce sont les premières phrases, et après je regarde ce qui vient. J’aime me laisser surprendre par ma propre écriture. Bien évidemment, au fur et à mesure, je m’efforce de donner une structure à l’ensemble, pour que ça ne parte pas dans tous les sens, mais ça ne m’intéresse pas de savoir à l’avance tout ce que je vais écrire. J’ai, bien sûr, une idée approximative de la façon dont tout cela va se terminer, il faut bien que je sache à peu près où je vais emmener tous mes personnages (surtout qu’ils sont nombreux), mais j’aime leur confier les rênes, les regarder vivre, bouger, agir et les écouter parler.

Je travaille beaucoup l’ambivalence des personnages, je n’aime pas le côté manichéen : les gentils d’un côté les méchants de l’autre. Dans Orphans, Marin est le héros mais il a des côtés très agaçants. Zacharie lui, a des côtés très intéressants et lumineux, ce n’est pas qu’un personnage sombre et diabolique. Je m’efforce de créer des personnages qui ne soient pas caricaturaux.

Il y a beaucoup de secrets dans cette histoire, par exemple la mère de Marin ne dit pas tout. On voit bien qu’elle est triste, inquiète, mais on ignore pour quelle raison. On en apprendra plus dans le tome 2 et, petit à petit, les fils qui relient les différentes intrigues commenceront à se nouer entre eux et le lecteur reconstituera ce qui s’est passé. On part des non dits et des mystères et on comprendra tout à la fin.

 

Le Cycle est terminé ?

 

Oui, c’est une trilogie, il ne va pas s’écouler énormément de temps entre le début et la fin, j’ai voulu que l’action soit assez resserrée, c’est vraiment une tranche de vie, quelques mois tout au plus. À la fin du troisième tome, l’histoire sera bouclée, certains personnages transformés, le lecteur obtiendra les réponses à toutes ses questions, mais autant le prévenir : il n’est pas au bout de ses surprises !

 

C’est un roman choral, mais il y a un personnage principal ? Qui est plus important : Marin ou Alexia ?

 

C’est une question intéressante, car ces deux personnages se détachent nettement des autres. Je souhaite cependant que le duo le plus emblématique de la série reste celui que forment Marin et Tessa, deux lycéens plongés au cœur d’une aventure incroyable, deux ados ordinaires, liés sans le savoir par un lourd secret. Cependant, Alexia, qui est une jeune journaliste intrépide de 25 ans, permettra aux lecteurs un peu plus âgés de se projeter eux aussi  dans l’une des figures les plus attachantes de cette trilogie.

 

Vous ressemblez à votre personnage principal ?

 

Pas vraiment, si ce n’est, que j’ai moi aussi été adolescente. J’ai voulu que Marin soit un ado en rébellion, parfois désagréable, agaçant, surtout au début,  mais l’idée est de le faire évoluer au fil des trois romans.  On le prend à un moment de crise – il est égocentrique, feignant, en rébellion contre ses parents, un ado normal, quoi ! – mais il va vivre quelque chose qui va l’obliger à mûrir et à changer son regard sur les autres, la vie et sur lui-même.

En règle générale, mes personnages sont entièrement fictifs, mais il peut arriver que je leur prête un petit trait de mon caractère.

 

Pourquoi le méchant s’appelle Zacharie ?

 

Dans la Bible, c’est le nom d’un prophète. Or, Zacharie Speruto est un scientifique qui se veut d’une certaine manière visionnaire, et dans son patronyme, Speruto, on reconnaît la racine du mot « espoir ». Mais Speruto, c’est aussi l’anagramme de Proteus, or n’oublions pas que dans la mythologie, Prothée est un dieu qui a la particularité de pouvoir prendre différentes apparences, ce qui le rend insaisissable.

D’autre part,  Denis Zachaire était le pseudonyme d’un alchimiste français du XVIe siècle, or Zacharie est un peu un alchimiste des temps modernes, comme on le découvrira lorsque sera dévoilée la nature exacte de ses expériences.

Enfin, il faut savoir que tant que mes personnages ne sont pas nommés, ils ont du mal à exister. Pour pouvoir s’incarner et acquérir une vie propre, ils ont besoin de posséder un nom. Pour celui-ci, je voulais un nom ayant une consonance étrange, un nom fascinant, voire inquiétant, aux sonorités qui interpellent le lecteur, tout sauf quelque chose de neutre…

 

Comment vous êtes-vous imaginé l’autre la Rochelle ?

 

J’y vais souvent, c’est une ville que je connais et que j’aime depuis longtemps. La première fois que j’y suis venue, j’ai eu un véritable coup de cœur pour cette ville.  Quand j’ai commencé à écrire ce livre, j’ai décidé que ça se passerait à La Rochelle, mais j’ai voulu transfigurer discrètement la réalité, opérer ce que André Gide appelait « la stylisation du réel ». C’est en cela que le travail littéraire me fascine : on part de la réalité, et on en fait autre chose, qui est propre à l’imaginaire de l’écrivain. J’ai réalisé quelques images, des photos qui vous donneront une idée de la représentation que j’avais en tête. On peut d’ailleurs les voir dès à présent sur le site des éditions Rageot, Livre attitude.

 

Mais comment vous arrivez à voir, sur la Ville de la Rochelle l’autre ville se superposant ?

 

Elle n’est pas très différente. J’imagine deux réalités parallèles qui sont pratiquement superposables à quelques petits détails près, donc  ce n’est pas comme si j’avais imaginé La Rochelle en l’an 2500… Finalement, je trouve que c’est bien plus dérangeant lorsque la différence ne saute pas aux yeux de prime abord, lorsque naît progressivement un sentiment d’ « inquiétante étrangeté », comme dit Freud. Ainsi, Marin commence par remarquer que les arbres du parc municipal ne sont plus les mêmes, que les bus sont plus silencieux, puis il apprend que le nom de la monnaie a changé, ainsi que le nom de la ville, qu’on utilise plus de téléphone mais des Phone Auxiliary, etc. et ces découvertes deviennent de plus en plus angoissantes, le conduisant petit à petit à se demander s’il n’est pas en train de devenir fou…

 

Le monde parallèle préexistait ou il a été créé par Zacharie ?

 

Non, il existait, c’est seulement une autre potentialité de la réalité que connaît Marin. Je pars du principe qu’il y a une infinité d’univers parallèles, à chaque fois qu’on fait un choix important un nouvel univers se crée, c’est une des hypothèses envisagées par la physique quantique. Mais les personnages ne vont transiter qu’entre ces deux mondes.

 

Il n’y a avait pas assez de place dans le monde réel pour y placer votre histoire, il fallait créer un monde parallèle ? Ou bien est-ce ce monde parallèle  qui est la transfiguration de l’adolescent dans l’âge adulte ? Il y a un lien entre l’âge de votre héros et le monde ? S’il y a monde parallèle c’est qu’il y a passage d’un monde à l’autre, donc une manière de rite initiatique ? Votre héros pouvait-il faire ce chemin sans passer par l’autre monde ?

 

Non, toute l’histoire est bâtie  sur ces deux mondes parallèles et autour de jeux de miroir. La thématique du miroir est d’ailleurs très présente, même si le mot ne figure pratiquement jamais dans le livre. Deux univers en miroirs, des personnages en miroir… il y a Lewis Carroll là dessous. Le miroir donne un double inversé, c’est – entre autres -pour cela que de l’autre côté, on voit la face cachée de la lune…  Petit clin d’œil, en arrivant dans le second La Rochelle, Marin monte dans un taxi dans lequel il entend un extrait de l’album The Dark Side Of The Moon des Pink Floyd.

 

Le monde parallèle va jouer un rôle déterminant dans l’évolution du héros, car c’est en s’y retrouvant projeté qu’il va par exemple prendre conscience que certaines paroles ne doivent pas être prononcées à la légère, que lorsqu’on exprime certains souhaits, il se peut que l’on soit pris au mot. Dans un moment de colère, Marin lance « Il y a des jours où je préfèrerais être orphelin et fils unique ! ». Or, c’est exactement ce qui va lui arriver…

 

Vous lisez les autres auteurs ? Certains vous inspirent ?

 

Oui, je lis beaucoup de livres jeunesse, du polar, du fantastique, mais aussi de la littérature « blanche » et des classiques, mais je suis également inspirée par les séries tv, qui ont beaucoup à nous apprendre en matière de construction d’un univers fictionnel. Certains auteurs cessent de lire lorsqu’ils sont en phase d’écriture, pour moi c’est le contraire, je lis encore plus, car le fait de me plonger dans l’imaginaire d’un autre stimule mon propre imaginaire et, par analogie, ça me donne des idées. Je ne vais pas piquer les idées des autres mais leurs idées m’en donnent de nouvelles. J’ai du mal à « partir de rien », pour entrer en écriture j’ai besoin de me plonger dans l’imaginaire de quelqu’un d’autre. J’écris dans le silence total, mais nourrie de ces lectures.

 C’est une chance pour les jeunes d’avoir aujourd’hui une littérature adaptée. Quand j’étais jeune il y avait soit les livres pour les plus petits, soit les livres pour les adultes. J’ai lu Giono, Zola à 15 ans. J’ai lu Que ma Joie demeure, j’ai trouvé ça tellement beau et fort que ça a été une « claque », mais en même temps il me manquait quelque chose, j’avais envie qu’on me raconte des histoires d’adolescents, de mon époque, avec des préoccupations  de mon âge. Peut-être que j’écris les livres que j’aurais aimé lire entre 14 et 17 ans.

 

Le roman est adaptable au cinéma ?

 

J’adorerais ! Mais aujourd’hui ce sont surtout les romans anglo-saxons qui sont portés à l’écran : Hunger Games, Sublimes Creatures... Ça a failli se faire avec Une sonate pour Rudy, mais le scénariste, qui m’avait proposé en plus de participer à l’écriture,  n’a pas été suivi par son producteur. Toutefois, je ne perds pas espoir ! Je verrais très bien Orphans à l’écran, pourquoi pas sous la forme d’une mini série d’une dizaine d’épisodes ?

 

Une petite exclusivité pour nos lecteurs sur la suite des événements ?

 

Ah, ah ! Tu es une maligne, Agathe… Eh bien, attendez-vous par exemple à en apprendre un peu plus sur les secrets que cachent par exemple Audrey, la mère de Marin, ou l’étrange professeur, Étienne Broch. D’autre part, le tome 1 s’intitule Double Disparition, il se pourrait qu’un troisième ado disparaisse par la suite. L’arrivée de ce nouveau personnage aux côtés de Marin et Tessa risque d’ailleurs de bousculer un peu la donne et de compliquer la tâche de certains, pas seulement du côté des « méchants », d’ailleurs…

 

Propos recueillis par Agathe Di Stefano


Lire également la critique de Orphans, Double disparition.

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