Les dents de la mère suivi d’un entretien avec Francesca Y Caroutch

 

 

 

Francesca Y Caroutch, "Cahiers étoilés d’une légende", coll. « Poésie contemporaine », Editions du Cygne, Paris, 57 pages, 10 E..

 

 

Avec François Augiérias  auquel – forcément – est dédié ce livre, son auteur livre pour la première fois sa douleur de femme aimée mais affublée d’une belle-mère acariâtre (euphémisme). Dit comme cela le livre pourrait sembler trivial : il ne l’est pas et se métamorphose en fable lyrique. Les deux « enfants de la foudre » (titre de son avant dernier livre de poèmes chez Rougerie) sont évoqués dans une force essentielle. Ecrit d’un jet, la poétesse y trouve une sorte d’exutoire lyrique où alternent poèmes et proses. Emportée par l’homme « météore », la « fille du vide à l’écoute du firmament » trouve dans sa chair « une odeur de palme et de fruits écrasés dans l’herbe ».

Ce livre est donc des plus précieux à qui veut connaître l’auteure et François Augiéras, peintre et écrivain trop oublié. Mais par-delà le côté intime s’inscrit le souffle de l’élévation mystique. Elle rachète les larmes d’Eros. Car il y eut bien des larmes, même si Francesca Caroutch en retire pudiquement le manteau. Par delà la mélancolie le texte enfle, avance loin d’une forme de régression ou de la quête du refuge.  Si la poétesse évoque la nuit c’est afin que  la lumière soit. Du fond de l’absence ce qui résonne n’est pas l’abandon, le vide, la solitude : tout est  soumis à la résurrection.  La poétesse ne voit pas le monde à travers les yeux d’Augiéras  mais à travers son regard à elle. Elle traverse en sens inverse l’Achéron (qu’il a franchi en 1971) au sein de chevauchées auxquelles elle a habitué ses lecteurs.

Elle ne renie rien  et permet au discours amoureux de se poursuivre en dépit de la génitrice qui fit vivre l’enfer à son rejeton et à sa jeune compagne. Cette mère est «  brûlante de fiel qui se veut miel »  envers « l’Etrangère et la voleuse ». Elle « s’épuise à ravauder le passé » et n’a qu’un désir chevillé à ce qui lui tient lieu de cœur : ramener l’homme à l’enfant « ignorant et cuirassé de fer » qu’il fut et qui ne connut ni les ardeurs de l’amour et la lumière « qui peut faire croître une plante jusqu’au ciel ». Pour toute consolation et supplique chaque jour (sauf le dimanche) à six heures du matin  l’indigne frappait  à coups de tisonnier sur la chaudière pour que son cher fils se lève et revienne près du vampire.

 

Francesca Caroutch sut néanmoins faire de chaque aube les premiers matins du monde « chèrement reconquis ». Elle a su créer des extases face au brasier originel de la marâtre qui donna au garçon moins la vie que la mort. La créatrice sut courber le dos et faire preuve d’abnégation pour  étreindre trop provisoirement avec l’Elu le ciel terrestre.

Le livre reste, bien au-delà d’un justiciable règlement de compte, un rituel dont la plénitude fait chavirer le lecteur. L’amour pour « l’élu » court toujours dans le sang de la poétesse. Elle s’abreuve à cette fontaine. Plus le temps passe plus elle en exalte le clapotis. Consumé par son dieu solaire, saturée du sens qu’elle trouva en lui, la profonde semence créatrice « volée aux forges célestes » demeure. Cet amour a fait de la vie arabesque de l’auteure une  épure dans laquelle tout existe jusqu’au paroxysme. En écho et par ces « cahiers »  des anacoluthes sont enfin réconciliées jusqu'à l’acquiescement final qui libère et rappelle - comme l’auteure me l’écrivit dans une lettre -  que « tous les êtres aimés ne font qu’un dans l’insondable profondeur du vide qui est lumière ».

                                                                                         

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

INTERVIEW de Francesca Y. Caroutch

Par Jean-Paul Gavard-Perret, le 2 octobre 2013.



 

L'Elu a bien de la chance d'être ton Elu… Encore lycéenne, j'aimais cet éveilleur, avant de le connaître. Pour moi, il est toujours vivant.

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Une irrépressible envie d'écrire ou de lire de la poésie, avant même la potion magique du thé.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?  Je le ai réalisés  :  l'amour, la poésie, le refus de tout compromis,  la liberté, même si elle se paie parfois très cher.

A quoi avez-vous renoncé ? A une vie de famille, régulière - jamais connue.  Quel ennui cela aurait été, très vite... J'ai un grand fils adoptif. Mais c'est plutôt un ami, découvert lorsqu'il avait 20 ans.

D’où venez-vous ?  D'une autre planète, où il fait toujours beau dans le cœur.

Qu'avez-vous reçu en dot ?  L'amour fusionnel de mes parents, dont j'étais fille unique.

Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ?  Tout.

Un petit plaisir - quotidien ou non ? Aller à la rencontre de l'"autre", même pas loin. Voyager."Si tu n'espères pas l'inespéré tu ne parviendras pas à le trouver."

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes?  Me tenir à l'écart. Mais j'aime organiser des rencontres pour les poètes, autour d'un thé, chez moi, au Quartier latin.

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpella ?  Un choc. Ma place dans le monde, enfant, dans une campagne d'été, lorsque je découvris simultanément, sur une colline, l'existence des lucioles et des étoiles filantes.

Quelles musiques écoutez-vous ?  Bela Bartok, la musique touareg, et surtout Jean-Sébastien Bach.

Quel est le livre que vous aimez relire ? Les présocratiques (et les premiers livres du monde.)

Quel film vous fait pleurer ? «  Le collier perdu de la colombe » de Nacer Khemir et Kwaïdan  de Masaki Kobayashi (La bataille navale), dont j'ai les DVD, pour le bonheur de partager. « Certains l'aiment chaud » avec Marylin,  me fait pleurer de rire.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? Une inconnue.

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ?  A Héraclite d'Ephèse et à Louis-René des Forêts.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?  Venise, où j'ai beaucoup vécu. Mais c'était avant la réintroduction funeste du Carnaval, l'apparition des Macdo, le massacre du Palazzo Grassi, etc. Venise a vendu son âme.

 Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? François Augiéras, Jacques Lacarrière, Max Ernst, Julien Gracq, Hawad, Jean-Marie Le Clézio.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un livre inconnu, qui serait une révélation, pour moi.

Que défendez-vous ? La liberté d'expression, l'autonomie du Tibet, la préservation du Vieux Paris - enfin, le peu qui en reste.

Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"  Entraînée par un de ses disciples, j'ai brièvement connu Lacan : un cour peut-être génial, mais incompréhensible, pour moi; une représentation de Timon d'Athènes, puis un souper tardif, à sa droite,  dans un grand restaurant qu'il fit ré ouvrir pour quelques adorateurs.  Quel cirque divertissant ! Il ne parlait que pour lui-même. Tout ce qu'il disait sonnait faux.

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui, mais quelle était la question ?" Allergique, je fuis dès que j'entends prononcer ce nom.

 

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