Hybridations d'Elisa Fuksa Anselme : entretien avec l’artiste

 

 

 

Parisienne et Mauriennaise d’adoption Elisa Fuksa-Anselme a retrouvé en Savoie dans un grenier les plaques photographiques argentiques d’un instituteur de montagne. Il prenait dans les années 30 ses contemporains pour sujets. A partir de ces œuvres inconnues la créatrice a inventé des techniques qui allient la photographie et la peinture et grâce au numérique lui permettent de proposer des œuvres rares sur des papiers imprimés, déchirés puis marouflés sur des supports divers peints avec des pigments à l'huile ou acryliques. Ceux qui regardaient apeurés ou fascinés l’appareil de l’instituteur retrouvent une nouvelle jeunesse et interrogent à la fois ce que toute image montre et retient tout en proposant par effet de bande une réflexion sur le temps et la notion de finitude.

 

Par l’invention d’une telle « visualité » ce que Beckett nomma la « choséité de l'art »  ne s’adresse pas seulement à la curiosité du visible, au plaisir de l’être mais à son désir de comprendre ce qui est de l'absence ou du manque. Les fonds de couleurs monochromes, les effets de fracture créent à la fois un équilibre et un déséquilibre violents et fragiles au moment où voir n’est plus saisir ce qu’on voit. Soudain une forme épurée et un temps dilué apparaît pour offrir au regardeur un état de sidération. Le passé se transforme et devient l’évidence lumineuse mais décalée d’un lieu perdu et chargé du poids du temps. Elisa Fuksa-Anselme offre le paradoxe d'images "mangées" pour que d’autres images surgissent. Elles jouent à sur le virtuel et le réel. Leur masse colorée, frontale défait l’œil : un suspens demeure par l'intervention plastique. Elle permet de passer de l’illusion subie de la condition "littorale" (de l'image témoignage) à l’illusion exaltée.

 

JPGP.

 

 

Entretien avec l’artiste

 

A quoi avez-vous renoncé ? À la danse classique après quelques années de pratique. À l’apprentissage du piano, je n’avais pas le temps de tout concilier.

Mais répondre cela me semble sans intérêt.

J’ai surtout renoncé à l’amour d’un père qui ne pouvait se faire que dans la souffrance.

 

D’où venez-vous ?  Je peux dire de Paris, j’y suis née, j’ai grandi dans cette ville aux couleurs et odeurs multiples, aux lumières subtiles de ses quais de Seine. J’ai fait mes études à La Sorbonne. J’ai enseigné dans ce même univers… mais je peux dire je viens de très loin. De très loin, entre fille des sables et fille des cultures de l’Europe de l’est…

 

Qu'avez-vous reçu en dot ?   L’histoire avec un grand H. Les deux guerres mondiales sont inscrites dans ma petite histoire, moi qui suis née quelques années après les désastres de l’humanité.

 

Qu’avez-vous dû « plaquer » pour votre travail ? Ma famille. Mon choix d’études artistiques ne convenait pas à mon père. Je suis partie gagner ma vie et faire ma trace sur le chemin des Arts Plastiques.

 

Un petit plaisir - quotidien ou non ? Le matin  prendre mon temps pour déguster mon thé et écouter les informations à la radio.

 

 Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?  Alors là, quelle étrange question ! Les individus étant par essence tous différents, alors les artistes…

 

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? Trois images indissociables : la première l’aiguille qui avance sur les sillons du disque, la deuxième sonore : la voix de Jean Marais qui me raconte à moi petite fille des histoires. La troisième : le regard aimant de ma mère.

 

Quelles musiques écoutez-vous ?  Musique classique, jazz… mais actuellement je me tourne de plus en plus vers le silence. La fenêtre ouverte de mon atelier me fait entendre les bruits de la nature et cela me berce dans mon quotidien. Ecouter le silence est un luxe…

 

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?  Je ne peux dire que Paris, même si j’ai choisi de vivre ici en pleine montagne, face aux Aiguilles d’Arves. Paris fait partie de mon histoire à plus d’un titre, je ne l’ai pas vraiment quitté…

 

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Toujours et encore l’amour de mon amoureux, c'est-à-dire mon mari.

 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Le désir de faire. De découvrir un nouveau jour. Partager le temps entre l’atelier et la nature.  Apprécier le  fil des saisons.

 

 

Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Si je prends au pied de la lettre cette question, je dirai perdus dans le lointain et c’est tant mieux, cela pouvait être trop souvent des cauchemars.

Si je considère cette question comme une projection de mes désirs d’enfant à ma vie actuelle je peux dire : « ils sont réalisés ».

 

Quel est le livre que vous aimez relire ? Je me dis toujours quand j’aurai un peu de temps je relirai tout Zola et tout Balzac, bien entendu cela reste une intention… Je voudrais également relire tous mes « Lagarde et Michard » du moyen-âge au vingtième. Un vrai désir de me replonger dans mon univers littéraire de lycéenne où j’ai puisé des moments de grand bonheur…

 

Quel film vous fait pleurer ? « La Strada » de Fedérico Fellini.

 

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? Une femme heureuse de vivre et qui tente d’accepter ses rides !!!

 

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A personne. J’ai toujours fait ce que j’avais décidé de faire, même s’il fallait payer le prix fort !

 

Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? Enfant c’était Pablo Picasso, le maître des maîtres. Aujourd’hui c’est très diversifié :  Christian Boltanski, Sophie Calle, Rachmaninov pour la musique.

Que défendez-vous ? Depuis toujours, la Paix et le droit à la différence.

 

Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas" ? Cela ne m’inspire pas, le don, le partage n’existe à mon sens que dans le respect de l’autre. Alors s’il n’en veut pas…

 

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?»

Je ne m’inscris pas dans cette légèreté mais « j’adore » l’humour de W. Allen, ses films sont pour moi des références.

 

Entretien réalisé avec Jean-Paul Gavard-Perret, octobre 2013.

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