Guillaume de Fonclare : « Lorsqu’on possède un petit talent pour écrire, il ne faut pas hésiter à faire le porte-voix »


« De virtute, non de me loquor »

(Seneca, De vita beata)


Remarqué dès son premier roman, Dans ma peau (Stock, 2010, Livre de poche, 2011, Prix de l’essai de France Télévisions), qui parle de sa maladie auto-immune qui le rend peu à peu invalide, Guillaume de Fonclare publie cette année chez le même éditeur un deuxième tome, Dans tes pas, reçu avec le même enthousiasme par la critique, et considéré comme « la deuxième partie de ce diptyque de la douleur » (François Busnel, L’Express, 06/02/2013).

Reprenant le même thème de la trace que laissent dans notre corps et notre âme la souffrance, la maladie et la mort, l’auteur reprend ce même questionnement pour nous aider à comprendre sur quoi peut-on encore écrire lorsque les épreuves de la vie semblent avoir épuisé toute notre énergie, à tel point que l’on se sent enfermés comme dans « un carcan »?

Dès lors, comment réussir à en sortir victorieux d’un combat où chaque pas, chaque mouvement, exigent leur part de souffrance, comment en sortir, donc, victorieux d’une maladie cruelle, incurable, qui ne cesse de vous rappeler que la bataille est déjà perdue d’avance ?

Et quel sens gardent-ils encore, dans ce cas, des mots simples, aptes à panser – même provisoirement – ces blessures : des mots comme espoir, courage, foi, souffrance, doute, confiance ?

Guillaume de Fonclare offre à toutes ces questions une réponse dont l’évidence ne se trouve pas là où nous serions tentés à la chercher – aveuglés que nous sommes par le carcan de nos peurs, de nos préjugés et de nos faiblesses. Car, selon lui, le seul remède, lorsque la vie se trouve en danger de mort, consiste indéniablement dans la force d’affirmer sans cesse le désir, le devoir, le courage, la joie, l’héroïsme nécessaires à assurer, à cette même vie, son triomphe définitif et irrévocable.

La seule victoire qui vaille dans la vie d’un homme n’est autre que de la faire triompher, et de participer ainsi à l’affirmation du postulat selon lequel elle n’a de prix que par le sacrifice que l’on fait pour la mériter.

Tel est le message de ce livre poignant qui refuse la complainte et la compassion de façade. Car, comme ne cesse de le répéter Guillaume de Fonclare, ce livre est loin de faire de la souffrance un sujet de littérature, pis encore, de prétendre à un regard en miroir avec la souffrance des autres, mais de proposer une leçon d’humanité et non pas une leçon de morale.

Pour Guillaume de Fonclare il s’agit bien ici d’un devoir lorsque l’on évoque le geste radical qui fut le choix de cet ami et père de famille qui ne put résister à la pression d’un monde où la concurrence détruit les fondations des vies et les emporte au-delà de leurs forces.

Plusieurs clefs nous permettent, donc, de pénétrer dans l’univers narratif de ce roman, et d’en ouvrir à tour de rôle les portes donnant vers les thèmes qui le composent : la souffrance, le combat pour la vie, la parentalité, la filiation, la solitude, le désespoir, la mort, l’interrogation incessante sur le sens de la vie et du destin humain.

 

De tout cela, Guillaume de Fonclare a accepté de dialoguer avec nous :

 

 

Si l’on s’en tient aux dernières nouvelles que vous donnez aux lecteurs dans votre livre Dans tes pas sur l’état de votre santé, vous naviguez parmi des «mots barbares » comme fibrillinopathie, cryoglobulinémie, etc. par lesquels la médecine tente de s’approcher d’un diagnostique plus précis de la maladie dont vous souffrez. « Mon corps est un menteur, et il me fuit. Alors, pour le confondre, je consens, de temps à autre, à ce que l’on prélève d’infimes parties pour étude », écrivez-vous.

À en croire ces mots d’une vérité toute aussi forte que la cruauté de votre souffrance, qu’il me soit permis de vous poser de la manière la plus amicale cette question simple : comment allez-vous ?

Si l’on s’en tient à la dimension morale de votre question, je vais plutôt bien. A ma grande surprise, je n’ai pas trop mal vécu ces dernières années. Les premières ont été très difficiles, lorsqu’il m’a fallu admettre qu’il allait d’abord falloir renoncer à certaines de mes capacités physiques, et ensuite, à travailler. Une fois cela accepté, le reste se fait sans trop de mal, si je puis dire. Rien ne s’arrange, mais je vis entouré de ceux que j’aime, dans un grand confort médical, et même si certaines journées sont très longues, j’ai encore le sentiment d’avancer, ce qui est le principal.

 

Et pourtant, malgré l’interruption obligée de votre activité professionnelle, malgré la diminution de vos forces, vous affirmez «l’inaction me tuerait plus sûrement qu’un coup de fusil, il me faut un projet à la mesure de cette envie insatiable qui me pousse à toujours fixer mon regard sur un point de l’horizon et m’employer tout entier à y parvenir». Vous connaissant, nous savons combien est chargée d’humanité cette affirmation qui donne sens à votre combat et qui vous garde éveillé devant les défis de la vie.

Ce désir profond, ce devoir de verticalité comme moteur de la vie, continuent-ils à alimenter votre quotidien ?

Oui, plus fortement encore. Envisagé de l’extérieur, beaucoup de mes choix pourraient s’apparenter à des abandons : le fait que je sois contraint de me servir plus souvent d’un fauteuil électrique dans mes déplacements, ma plus grande inactivité apparente aussi, car je participe à moins de projets, je m’investis moins dans la vie locale et je suis plus souvent chez moi. Tout cela, pour moi, n’est pas le signe d’une retraite, c’est simplement le résultat d’une volonté de me centrer sur le quotidien pour m’y investir plus pleinement, et de choisir en conscience ce qui va me fatiguer, m’user, et nécessiter plusieurs jours, voire plusieurs semaines de repos pour me remettre. Participer à un salon du livre, faire un déplacement, prendre le train ou l’avion occasionnent beaucoup de difficultés pour moi, mais si je le fais, je le fais avec plaisir, en mesurant parfaitement ce que cela signifie. C’est ma manière de continuer à me tenir debout, en vivant en harmonie avec le rythme de mon corps et celui de mes envies, en opérant des choix qui me coûtent quelquefois, mais en conscience, sans plus subir.

Cela tient également dans des choses moins visibles, qui relèvent plus du détail, de l’infinitésimal parfois. M’obliger à faire la sieste plusieurs jours de suite pour me préparer à partager une soirée avec des amis ou bien un weekend en famille, économiser mes gestes en faisant la cuisine pour ne pas trop me fatiguer, ce genre de choses qui pourront paraître de bien peu d’importance mais qui m’inscrivent dans un temps long qui est la vie. Accepter le sort oui, mais ne pas subir, jamais, voilà l’important.

 

Un autre thème de votre livre est celui de la paternité, non pas de ce métier de géniteur dont on perd de nos jours la trace sous les couches des recompositions familiales, mais de ce symbole dont l’être humain a besoin pour se construire soi-même, et pour servir de repère à ses enfants. Vous vous décrivez comme « un orphelin […] essayant de faire un père convenable ».

A-t-elle été si profonde pour la suite de votre vie la perte brutale de votre père ?

Mon père est mort à quarante ans, alors que j’en avais dix. Aujourd’hui, j’en ai quarante-six, et plus que jamais, je me sens orphelin. Ma fille a bientôt seize ans, et mon fils bientôt treize, et j’ai l’impression de naviguer à vue, sans souvenir auquel me raccrocher pour me construire en tant que père. Comme je le dis dans mon livre, je suis plus vieux que mon père, à présent, et c’est une impression bizarre.

Mon adolescence s’est fondée sur ce deuil, et les circonstances de cette mort - mon père était pilote d’essai d’hélicoptère, et il s’est tué dans un accident - m’ont fait l’orphelin d’un héros ; ce n’est pas facile de grandir dans ces conditions, et je suis convaincu que ma vocation d’écrivain est née de cette situation difficile. Aujourd’hui, j’exprime à ma façon tout ce qui a été pensé alors, car pour être à la hauteur de mon père, j’ai développé un système très abouti d’introspection, à la recherche des sentiments qui ne seraient pas en harmonie avec cette rude condition de cet homme hors norme. Bien sûr et fort heureusement, cette volonté de maîtrise et de perfection n’a pas résisté au temps, mais j’en ai gardé certainement une capacité à lire et à déchiffrer certaines émotions, que j’essaie de restituer aujourd’hui.

 

Nous arrivons, par l’évocation du suicide de votre meilleur ami, au sujet le plus poignant de votre livre, en tout cas si l’on tient compte de la tension narrative dont vous chargez cet épisode dont on pourrait dire qu’il est construit sur le triptyque combat, souffrance, désertion. (N’est pas cela la logique-même du triptyque dont les volets latéraux se referment sur le volet central pour accomplir sons sens ?)

Qu’avez-vous voulu transmettre à vos lecteurs par cet épisode si douloureux, si dense, si chargé en questionnements ?

En premier lieu, un témoignage de vie; non pas que ma vie ait une plus grande importance que celle d’autres confrontés aux mêmes difficultés, mais j’ai la conviction que lorsqu’on possède un petit talent pour écrire, il ne faut pas hésiter à faire le porte-voix, sans succomber par ailleurs au piège du sentimentalisme et du larmoyant ; néanmoins, j’ai voulu, oui, témoigner de ce qu’était cet ami pour moi, et de ce que fut le désastre de sa mort. Ensuite - et là, je ne cache pas qu’il y a une volonté très présomptueuse d’agir sur le quotidien des gens - en faisant la description la plus détaillée possible des conséquences de ce cataclysme, décourager tous ceux qui envisagerait la solution du suicide comme une solution acceptable pour échapper à une situation qu’il juge comme désespérée. Je suis persuadé qu’aucune vie n’est réellement désespérante - ou bien dans des cas extrêmement rares - et que ce n’est de toute façon ajouter que du désespoir à du désespoir. Je n’ai pas eu de volonté vraiment littéraire, si ce n’est l’exigence d’un “bien écrit” qui peut tenir peut-être à une recherche stylistique.

 

En parlant de votre art narratif, vous avez déclaré à une autre occasion que la méthode selon laquelle vous construisez votre discours n’est pas celle d’un effet de miroir mais plutôt celle d’un chemin parallèle où votre souffrance personnelle accompagne la souffrance des autres sans jamais prétendre à une primauté ou à une exclusivité. La souffrance n’est pas une question de quantité, semble dire vos livres, elle se mesure dans la force à mettre à l’épreuve une vie qui, elle, est appelée à vaincre ou à être vaincue.

Sans dévoiler le dénouement de votre livre, j’ose vous demander si vous gardez toujours la même énergie pour répondre aux défis de votre quotidien ?

Oui, je crois que oui. Comme tout à chacun, j’ai mes hauts et mes bas, cependant je sais désormais que mon appétit de vivre et de vie est infiniment supérieur à toutes les tentations d’en finir, et que la souffrance de m’abattra pas. Pourtant, certains jours sont très difficiles sur ce plan là, mais même dans ces moments, j’essaie de demeurer ouvert aux autres, et surtout, surtout, je ne compare pas ma vie à la leur, jamais. Rien n’est comparable, et personne n’a la capacité de décider qu’une douleur est supérieure à une autre. Alors je ne n’use pas mon énergie pour me complaindre, ni pour me plaindre des soucis des autres.


Propos recueillis par Dan Burcea


Guillaume de Fonclare, Dans ma peau, Editions Stock, 2010, 120 p.

Guillaume de Fonclare, Dans tes pas, Editions Stock, 2013, 96 p.

Nota bene:

Une version en roumain  de cet entretien  est parue dans la revue  "Observator cultural" de Bucarest:

http://www.observatorcultural.ro/Imi-accept-soarta-fara-sa-ma-consider-o-victima*articleID_29876-articles_details.html

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