Interview. Cécilia Dutter : Regards croisés sur Etty Hillesum


Après lui avoir consacré une biographie remarquée en 2010, Etty Hillesum, une voix dans la nuit, (Robert Laffont), Cécilia Dutter revient dans un nouvel ouvrage sur la personnalité et la singularité de l’itinéraire spirituel de celle en qui elle voit une héroïne moderne qui bouleverse sa sensibilité de femme, de romancière et fait écho à sa foi judéo-chrétienne. Pour élargir son propos, à ses côtés, elle a invité cinq auteurs de confessions et d’horizons différents à parler d’Etty.

 

En quelques mots, pouvez-vous nous rappeler qui est Etty Hillesum ?

Etty Hillesum est une jeune femme juive néerlandaise qui a tenu un journal et une correspondance de mars 1941 à septembre 1943 alors que les Pays-Bas étaient occupés par l’ennemi nazi. Au cœur de la barbarie, c’est une petite voix qui s’élève pour opposer au mal une indéfectible foi en l’homme et une confiance absolue dans le sens et la beauté de la vie. Ses écrits témoignent d’un cheminement intérieur et spirituel absolument hors du commun.

 

Vous avez déjà écrit sur Etty, pourquoi ce nouvel essai ?

En janvier 2014, nous fêterons le centenaire de la naissance d’Etty Hillesum. A cette occasion, j’ai souhaité mettre en lumière l’universalité de son message : sa parole s’adresse au cœur. Sa spiritualité intuitive, personnelle, sans frontières, sans limites, ouverte sur le monde, me semble pouvoir répondre à la quête de sens contemporaine. C’est pourquoi, bien qu’ayant déjà écrit sur Etty, je voulais approfondir dans un nouvel essai cette foi lumineuse qui se situe à la croisée des croyances, des cultures, des traditions et touche en cela le fonds commun de l’âme humaine. De forte inspiration chrétienne, pour autant, le croire d’Etty ne me paraît pas réductible à la seule foi chrétienne. L’objet de cet ouvrage est de souligner la richesse et la densité de ces écrits. Ce corpus forme en effet un véritable « pôle de convergence mystique » vers lequel les différentes confessions et philosophies transcendantales se rejoignent.

 

Votre texte est à la fois très personnel et analytique : vous parlez de votre sentiment de proximité avec Etty et de sa foi en Dieu. Un Dieu qui ressemble à celui que vous avez au coeur…

Sur le plan personnel, mon histoire familiale entre en résonance avec ce qu’Etty relate dans son journal. Ma mère et ma grand-mère, juives sous l’occupation en France, m’ont raconté des événements similaires. Par ailleurs, Etty touche mon cœur de femme, de romancière et de croyante. Son cheminement qui part de la sphère charnelle pour s’ouvrir à la dimension spirituelle me parle tout particulièrement. Femme de désirs par excellence, grande amoureuse, elle va, grâce à un travail sur soi et à de nombreuses lectures (la Bible, les Evangiles, Saint-Augustin, Dostoïevski, Tolstoï, Rainer Maria Rilke) progressivement dépasser l’amour humain pour toucher l’amour de Dieu. Un Dieu incarné cher à ma sensibilité judéo-chrétienne, et un Dieu parfois plus abstrait, proche des sagesses orientales.

Dans sa quête d’absolu, je reconnais ma propre quête dont ma démarche artistique se voudrait le reflet. Le cheminement littéraire que j’ai choisi d’emprunter s’articule en effet depuis toujours autour de la thématique du désir. Mes essais et romans sont le lieu d’une analyse et d’une réflexion sur cette question. Partant de nos désirs humains et de la dimension la plus incarnée de l’existence, je tente de dessiner dans mes livres une voie d’accès au divin.

 

À vos côtés, vous avez demandé à cinq auteurs de parler d’Etty. Qui sont-ils ?

Oui, j’ai invité cinq amis d’Etty. Homme ou femme, ils sont juif, musulman, spécialiste des philosophies orientales, philosophe et psychanalyste. Nos confessions, nos croyances, nos cultures, nos bagages universitaires, nos histoires, nos tempéraments sont différents. Et pourtant, Etty fait vibrer une même corde en nous. Chacun s’en empare pour remonter à la source de ses convictions ou de sa foi, apporter son propre regard sur ces écrits, et mettre ainsi en valeur leur universalité.

Bien qu’elle n’ait pas été élevée dans une famille pratiquante, la judéité d’Etty se reflète par un très fort sentiment d’appartenance au peuple martyr dont elle entend endosser le destin et par un héritage, que je dirais inné, fruit d’un savoir immémorial.

J’ai demandé à Delphine Horvilleur, deuxième femme ordonnée rabbin en France et représentante du mouvement juif libéral, de nous parler d’Etty et recueilli son beau témoignage de femme ainsi que son analyse théologique de rabbin sous la forme d’un entretien. Auteur d’un essai, En tenue d’Eve, féminin, pudeur et judaïsme qui vient de paraître chez Grasset, elle nous fait part des nombreuses résonances existant entre les écrits d’Etty et la foi hébraïque mais également des points de rupture avec la tradition juive.

Alain Delaye, Professeur à la faculté de théologie d’Angers, spécialiste des écrits d’Etty qu’il a ouvert aux sagesses orientales dans un essai remarquable intitulé Sagesses concordantes, paru chez Accarias en 2011, nous parle ensuite de « L’Orient intérieur d’Etty », texte au sein duquel il met en lumière de façon convaincante les influences hindouistes et bouddhistes retrouvées dans le message d’Etty.

Ghaleb Bencheikh apporte un regard musulman éclairé et profond sur les écrits d’Etty, personnalité qu’il compare à Rabi’a al Adawiyya, la joueuse de flûte, figure majeure de la spiritualité islamique. Docteur ès sciences, il est de formation philosophique et théologique. Partisan d’un Islam modéré, il est président de la Conférence mondiale des religions pour la paix et anime par ailleurs l’émission Islam dans le cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le dimanche matin. Il est l’auteur de nombreux essais dont notamment Le Coran, guide de lecture, Eyrolles, 2009.

Nous avons la chance d’accueillir au sein de cet ouvrage le beau texte de Jacques Arènes, psychologue, psychanalyste, co-directeur du département « sociétés humaines et responsabilité éducative au collège des Bernardins » et
Maître de conférences à l’Institut Catholique de Lille.

Il revient sur la démarche d’Etty, posée dans une perspective d’exemplarité, en vue d’élargir à l’universalité les solutions banales de la névrose personnelle. Il parle également de la solitude d’Etty et la met en parallèle avec la solitude moderne. Selon lui, les prières d’Etty adressées à un Dieu fragile qui demandent à être protégé et son itinéraire à distance de toute institution, sont dans leur singularité et leur exemplarité, susceptibles d’entrer en écho avec le croire moderne consistant à « être seul en présence de Dieu ».

Enfin, pour achever l’ouvrage, j’ai souhaité qu’un regard transversal nous soit apporté par Emmanuel Jaffelin. Agrégé de philosophie et professeur au Lycée Lakanal, il est l’auteur de nombreux essais et vient de publier On ira tous au paradis, (Flammarion, 2013), ouvrage dans lequel il affirme la nécessité de croire en Dieu et prône, à l’instar de la religion dynamique bergsonienne, une prière ouverte permettant à l’homme moderne de ne pas inféoder sa destinée à la technique pour rejoindre une mystique. Dans un texte inspiré et sensible, il nous dit comment le message d’Etty peut s’inscrire précisément dans cette prière libératrice œcuménique.

 

Propos recueillis par Stéphanie des Horts (novembre 2013)

 

Sous la direction de Cécilia Dutter, Un cœur universel. Regards croisés sur Etty Hillesum, entourée de Delphine Horvilleur, Alain Delaye, Ghaleb Bencheikh, Jacques Arènes, Emmanuel Jaffelin, éditions Salvator, novembre 2013, 169 pages, 19 €

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