Interview. Ariane Bois : "C’est aussi un roman sur l’amour qui permet de surmonter les épreuves"

Avec ce troisième roman, Sans oublier, on a l’impression que vous bouclez une trilogie sur la mémoire familiale sur le thème de l’absence. Est-ce le cas ?

Oui, le sentiment de perte est le sujet des trois. Perte du frère dans le premier Et les jours pour eux seront comme les nuits, perte d’un monde dans Hannah le deuxième, perte de la mère dans le troisième. Dans les trois romans, j’ai étudié les personnages dans leurs périodes de grande fragilité. Dans Sans oublier, c’est bien sûr la difficulté de vivre la maternité alors que sa propre mère vient de disparaître très jeune et dans des conditions inadmissibles qui est abordé.  C’est le deuil de la mère quand on a soi même des enfants petits.  L’héroïne a exercé une sorte de coparentalité avec sa mère et quand celle-ci s’en va, elle doit apprendre à devenir maman à son tour sans avoir les clefs. Elle vit une sorte de baby blues inversé où elle serait elle même un bébé en charge de petits enfants. C’est une situation inextricable. Elle faisait un avec sa mère  et se retrouve seule.

C’est ce que j’appelle la maternité empêchée.

Dans les trois, j’évoque  la. difficulté de vivre après la perte, de survivre le jour d’après. La trilogie est terminée. Je suis libérée avec ces trois romans. Sans oublier est la mort d’Hannah, l’héroïne des trois livres.

Le prochain est complètement imaginaire.

 

Dans quelle mesure Sans oublier est-il autobiographique ?

J’ai perdu  ma mère dans ces conditions. Il m’a fallu 20 ans pour pouvoir parler de cette mort traumatisante, à laquelle s’ajoutaient les difficultés à récupérer le corps, les problèmes administratifs avec l’ex URSS.  J’ai vécu ce deuil mais je n’ai pas suivi la voie de l’héroïne, je n’ai pas fui. J’ai élevé mes enfants petits et j’ai utilisé dans le roman des incidents  qui leur sont arrivés pour faire comprendre la difficulté d ‘être une jeune mère dans ces conditions bien particulières. J’ai voulu montrer le danger permanent dans lequel elle vit.  Quand elle perd son enfant au Luxembourg, elle se trouve dans une situation très fréquente : qui n’a jamais perdu de vue un petit durant quelques minutes ?  Au lieu de relativiser, elle se persuade qu’elle est toxique pour ses enfants. Elle  ne peut plus les protéger donc elle n’est plus une mère. Privée de sa mère elle est seule, elle se dévalorise à ses propres yeux. Prise dans une spirale, une perte de confiance en soi, elle se croit capable de maltraiter ses enfants. Le deuil provoque la perte de soi, vole une partie de vous même,  elle se retrouve dans une solitude et une insécurité proprement invivables.sa seule solution est alors la cavale.

 

Ce roman est un livre sur le secret, l’amour filial mais avec en creux une fantastique histoire d’amour. D’ailleurs vous appelez le mari de la narratrice, l’Homme. Pourquoi ?

Ça s’est imposé à moi, ce n’est pas une figure de style. La narratrice n’a pas de prénom non plus.

Au début l’homme est tous les hommes, l’arbre. Un prénom  aurait affaibli le propos. Au début cet homme est tout, ensuite il représente l’Autre, l’étranger, l’adversaire. Il y a l’Idée que l’on vit son deuil, son malheur seule, malgré tout l’amour dont on peut être entourée.

Lui aime sa femme mais a l’intelligence inouïe de la laisser vivre son épreuve. Il essaie de lui faire comprendre qu’elle va trop loin mais il l’aime. J’ai  voulu montrer par ce personnage la difficulté d’aider les autres. L’Homme est très moderne et très intéressant. D’habitude ce sont les maris qui partent. Là, elle peut s’éloigner parce qu’il est là, il  lui laisse la liberté d’aller au bout de son histoire avec elle-même et ses disparus. Tout n’est pas rose évidemment. Il manie une ironie froide, il n’est pas loin de la rupture, mais les rapports existent.  C’est aussi un roman sur l’amour qui permet de surmonter les épreuves.

 

La mère est partie avec un secret, ce qui aggrave encore la difficulté. Peut-on faire son deuil dans ces conditions ?

Non, on ne peut pas. La mère fait partie des enfants cachés de la seconde guerre mondiale mais elle n’a jamais pu en parler.

Ces enfants ont souvent eu des difficultés à avoir une vie de famille, ce qui s’est ressenti également  et de manière plus forte encore sur la deuxième génération. Certains d’entre eux sont restés cachés toute leur vie. Ont changé de nom…. On a pense que ces gens avaient honte d’être juif mais c’était en fait la honte d’avoir été victime. Pour eux, être juif signifiait être mort, donc ils ne pouvaient pas en parler.

Ce n’est pas un hasard si l’héroïne arrive au Chambon sur Lignon, le  seul village de France  à avoir été déclaré Juste des nations. Il y a  comme une force vitale transmise par le village.

Le personnage de Jeanne qui lui permet de comprendre le passé de sa mère représente tout l’accueil du plateau du Chambon. Ce qui au début était une histoire personnelle  devient la grande histoire. Il me permettait aussi de boucler la boucle car le prochain livre sur lequel que je travaille est précisément une histoire sur les enfants cachés.


Propos recueillis par Brigit Bontour

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