Interview. Clarisse Mérigeot : « Mes romans, des pages pleines de larmes »


Rencontre avec une drôle de fille, Clarisse Mérigeot, passionnée, entière, talentueuses, et son drôle de livre, Rigide Barbot et les nègres de la plage, lucide, dramatique, envoûtant.

 

 

Bien étrange titre que celui de votre dernier livre, Rigide Barbot et les nègres de la plage, Très énigmatique aussi. Que viennent faire ces Nègres et Rigide Barbot sur cette plage ?

C’est une guerre qui existe depuis longtemps entre deux castes sociales, mais qui prend un tour définitif, en été, sur les plages françaises : les bien-nés contre les campeurs. Pour les bien-nés, les campeurs représentent ce qu’il y a de plus laid, de plus immonde, de plus vulgaire. Depuis des années, le but est de laver la plage, cet espèce d’endroit sacré, sur lequel la vague bleue a ses habitudes. Une plage est plus qu’une plage : un lieu de vie, un berceau. C’est là que naissent toutes les amours, les collaborations professionnelles, etc. L’objectif est de se débarrasser de cette race qui pollue la vie de la vague bleue.

Il n’y a aucune connotation raciste dans les Nègres de la plage, évidemment. Je m’attendais d’ailleurs à plus de réactions, mais les gens comprennent bien de quoi il s’agit. Les Nègres de la plage, c’est le surnom dont les campeurs sont affublés parce qu’il y a de grandes différences entre les deux castes, la principale étant qu’elles ne vénèrent pas les mêmes dieux. Les gens bien vénèrent le dieu de la mer, vont à la plage pour profiter de la mer, pour faire du mini catamaran, alors que les autres vénèrent le dieu du soleil : le bronzage comme preuve d’une réussite sociale. « J’ai réussi à partir en vacances, et il faut absolument que je bronze pour montrer à mon retour, au travail, que j’ai pris des vacances. » Et on sait que sociologiquement, il n’y a rien de plus vulgaire, pour les gens bien-nés, que le bronzage, puisqu’il est synonyme de travail, de même que la sueur et l’argent. Donc aucune connotation raciste : c’est pour moquer les préoccupations de ces gens qui ont pour unique souci de bronzer.

Le grand drame dans ce livre, c’est cette guerre entre deux castes, une guerre éternelle. Il y a la noblesse balnéaire, avec son prince ; et le problème est qu’un jour, le prince part avec un « nègre ». Alors il faut se lever pour réparer son honneur, pour réparer l’honneur des bleus et les venger à jamais des Nègres de la plage. Et c’est là que l’histoire prend son tournant définitif.

 

Voilà donc pour le sujet apparent, puisque dans chaque livre, il y a le sujet apparent et le sujet profond…

Il y a effectivement plusieurs sens de lecture. L’axe de lecture secondaire, si je peux dire, c’est le rapport d’un jeune bourgeois – le personnage principal – à son éducation. On sent que ce personnage est doux, qu’il ne sait pas trop comment se placer par rapport à toutes les haines qu’on lui a inculquées, à toutes les horreurs qui lui viennent naturellement… C’est aussi une critique de l’éducation en général. À quel point une éducation nous façonne… Pourquoi va-t-on aimer un peintre plus qu’un autre ou le rose plus que le bleu ? On sait très bien que l’éducation a une grande part– sans faire d’anthropologie, ce n’est ni mon rôle ni ma compétence. On a donc le regard d’un personnage qui est presque vierge, parce que sa douceur le rend vierge, qui d’un côté est le fruit l’éducation qu’on lui a transmise et qui de l’autre côté découvre le monde qu’il a toujours haï par transmission, par obligation. Il prend alors conscience que ce n’est pas si terrible et finit par se demander si, au bout du compte, ce n’est pas cela, être heureux. « Heureux les simples d’esprit. » Être heureux, n’est-ce se faire faire sa caricature par un portraitiste de plage, même si ça ne ressemble à rien, si c’est affreusement laid et très vulgaire ? N’est-ce pas plutôt cela, le bonheur, plutôt que de s’embarrasser de considérations de bourgeoise balnéaire, de chercher à absolument faire une bonne alliance avec une bonne famille pour conserver le patrimoine, connaître les gens qui ont les plus belles maisons de famille, les mieux placées d’une plage, et ainsi de suite ?

 

Il y a une part de vécu…

Sempiternelle question. J’ai dédié le livre à ma mère, donc vous vous figurez bien… Disons que 85 % des horreurs qui sont enseignées au personnage principal sont vraies. Ma mère était comme ça. Nous sommes originaires du nord de la France, précisément de Beauvais, en Picardie. Quand Beauvais a été détruite par les bombardements allemands, ma famille a fui pour s’installer à Saint-Palais, qui était en zone libre. Et c’est devenu une grande histoire d’amour dans ma famille, qui définit tout ce que nous sommes. Il m’est par exemple arrivé de rompre avec des fiancés parce qu’ils n’aimaient pas aller là-bas. Et tout mon entourage s’est construit là-bas. Ma mère y a rencontré son premier grand amour… C’est comme ça que ça marche. Tout se passe là-bas. Là vie se déroule là-bas. Et c’est encore le cas pour moi aujourd’hui. Généralement, je m’arrange pour m’isoler totalement du monde pendant deux mois, sans personne, ni télévision ni ordinateur, rien. Et je reviens toujours avec un livre. J’ai des cahiers et des cahiers de notes. Je n’ai pas encore commencé à traiter ce que j’ai écrit l’été dernier. Pour ma famille, pour moi, cet endroit, c’est tout. Au départ, je voulais faire un livre sur l’amour extrême d’un lieu.

J’ai passé ma jeunesse à regarder des séries télévisées absolument stupides où on voyait des individus s’enchaîner à des tracteurs pour ne pas qu’on détruise le paysage de leur plage… Je trouvais ça ridicule. Mais le temps passant, je me suis rendu compte que ça ne l’était pas du tout. Je serais totalement prête à faire pour cet endroit.

 

Votre famille a-t-elle lu le livre ?

Pas ma mère, qui est morte quand j’avais 16 ans. Dans le livre, je parle d’une guerre de castes, une guerre de peaux, puisque le bleu ne bronze pas alors que le rouge bronze. C’est aussi une guerre de sang : il faut perpétuer la noblesse du sang. Or ma mère, comme je le dis dans le livre, est morte d’une leucémie. Comme quoi son sang la préoccupait vraiment. On ne génère pas les maladies par hasard. C’est vrai.

Mon père n’a pas lu le livre. J’ai commencé à écrire pour la presse lorsque j’avais 17 ans. Il n’a jamais lu un seul article de moi parce qu’il estimait que je lui faisais honte et que j’étais la disgrâce de la famille. J’ai travaillé pour Entrevue, pour des magazines gays masculins… j’ai fait tout ce qu’il ne faut pas faire. Mon père est très old school. À 70 ans, il est retraité de la magistrature – il a été juge d’instruction. Cela ne le faisait pas rire que je sois associée à ce qu’il appelle « des choses disgracieuses ». Bref, mon père possède le livre, mais il ne l’a pas lu.

Le reste de ma famille là lu. J’ai par exemple une petite sœur qui l’a trouvé absolument génial, parce qu’elle se reconnaissait. Nous avons la même histoire. Je suis très angoissée quand les autres lisent mon livre. Je me souviens d’avoir fait lire le manuscrit à ma sœur alors qu’elle était assise sur mon lit ; je n’arrêtais pas de lui demander : « Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Alors ? Alors » Exigé d’avoir un casque, en dessous duquel je la voyais rire à chaque page. Elle reconnaissait toutes les horreurs qu’on nous avait apprises, toute notre enfance.



Qu’est-ce qui vous a amenée à l’écriture ?

Je pense avoir été conditionnée par ma mère, justement. Elle avait une grande emprise sur moi.

Elle était criminologue et passait des nuits entières sur des machines à traitement de texte – à l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur. Je la regardais. Elle me faisait un chantage affectif terrible et me disait que tant que je n’aurais pas écrit telle ou telle chose pour l’école, plus telle ou telle chose pour elle, je n’irais pas me coucher. Elle se mettait en face de moi, les bras croisés, et exigeais de moi que je travaille. Et lorsque j’avais travaillé, ma récompense ultime était qu’elle me prêtait son Montblanc.

Donc j’ai appris à lire sous la contrainte. Après, comme tout exercice qui est pénible à la base, cela devient quelque chose de naturel. Et quand j’ai eu 12 ou 13 ans, ma mère a décrété que j’allais devenir journaliste. Je ne sais ni comment ni pourquoi. Elle a commencé à me présenter à tous ses amis journalistes en leur disant que plus tard, ils devraient s’occuper de moi. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Et puis cela s’est finalement produit. Un ami de ma mère m’a pris sous son aile – le plus grand fait-diversier français – et il s’est toujours occupé de moi. Il m’a enseigné l’enquête, le goût de l’écriture et aussi de la photo. Mon destin a été tout tracé pour moi.

 

Écrivez-vous régulièrement ?

Tous les jours. Et sans aucune réflexion. C’est ce que j’appelle ma logorrhée. Cela part tout seul. Après, c’est de la réécriture. J’ai horreur des choses trop compliquées, des phrases trop longues. On me dit que c’est génétique, que comme mon père était juge d’instruction, je fais des phrases très courtes – même si elles sont parfois un peu alambiquées dans l’usage des mots – à la manière d’un procès-verbal. Mais c’est sans grand effort.

La seule chose qui me fait beaucoup souffrir et qui me donne envie de renoncer à l’écriture, un jour sur deux, c’est la solitude. Il est très difficile de s’imposer une discipline, de se lever le matin, de travailler… J’ai envie d’avoir une équipe, de me prendre la tête avec d’autres… J’ai aussi envie de compétitivité. C’est quelque chose qui me manque énormément.

 

Retravaillez-vous beaucoup vos textes ?

Pas vraiment. Disons que j’ai toujours une base qui vient toute seule. J’écris des cahiers, sur un thème, et en fonction de ce que j’ai pu sortir, je cherche quelque chose de cohérent.

Plus j’écris, plus des idées nouvelles me viennent. Et les livres se structurent, finalement, en fonction de l’écriture. Je commence à réfléchir sur un sujet, je vais avoir l’idée d’un autre, je vais me lancer dessus, et ainsi de suite. C’est une sorte d’arbre généalogique aux branches très longues, avec beaucoup de ramifications. Au final, j’ordonne le résultat comme je peux pour en faire quelque chose de transmissible. Je ne suis pas complètement stupide : je sais bien que le monde n’en a rien à faire de ma petite vie ; et donc j’essaie de transmettre quelque chose de lisible, qui puisse éventuellement intéresser.

 

Comment définiriez-vous votre style ?

Provocateur, vulgaire. On me le reproche souvent, mais j’imagine que c’est quelque chose qui coule de source, qui va avec le genre de sujets que je recherche. On m’a souvent dit : « Comment peux-tu parler de la bourgeoisie française avec ce ton complètement détaché et extrêmement vulgaire ? » Parce que justement, nous sommes des gens vulgaires, très scato… On fonctionne comme ça. Je suis ce que je suis ; on ne peut pas m’enlever la manière dont j’ai été construite et les mots qui m’ont été enseignés pour exprimer la manière dont je pense. Je suis comme ça.

Après, évidemment, il m’arrive de faire des travaux commandés pour lesquels je me bâillonne. Mais quoi qu’il advienne, même pour ce type de travaux, je n’accepte pas les contrats comme si ma vie en dépendait, comme, vraiment, du travail. À chaque fois, je le prends pour l’expérience que cela représente et pour la personne face à laquelle je me trouve. Quand j’ai fait Louve musulmane, c’était un choix très particulier. Ma mère est née au Maroc – mon grand-père, polytechnicien, est devenu ingénieur-cartographe pour l’armée durant la Seconde Guerre mondiale, en poste au Maroc, où ma mère est donc née. Nous avons gardé un lien avec ce pays. Il y avait une connexion avec ce livre. Comme lorsque j’ai travaillé avec un candidat à la « Nouvelle Star ». C’est un garçon qui avait le sentiment d’avoir été abusé, et j’ai beaucoup aimé l’idée d’avoir à rétablir son honneur.

Rétablir son honneur, voilà une chose qui m’est très chère. On me traite souvent de perverse narcissique. On peut m’insulter, je m’en fiche. Mais qu’on porte atteinte à mon honneur profond, ce n’est pas possible. Là, je réagis immédiatement, et je fais tout pour renverser la vapeur.



Avez-vous des rituels d’écriture, des tocs d’écrivains ?

Je vis toute seule dans un appartement assez petit, et je ne supporte pas le bruit extérieur, la vie extérieure. C’est devenu un toc, mais c’était plus une méthode de survie en milieu professionnel : j’ai pris l’habitude de mettre un casque. J’écoute des chansons en boucle tout en écrivant. Cela me calme, me détend, m’aide à me rassembler, à me concentrer. Je ne peux travailler sans avoir de la musique projetée directement dans les oreilles.

Au-delà de ce détail, rien de particulier. Il m’arrive très souvent de travailler dans mon lit. Chez moi, l’endroit totalement organisé autour du lit. Tout est à proximité : bureau, télé… tout est articulé autour du lit. Et j’ai deux bureaux dont je change à l’envie.

 

Êtes-vous une grande lectrice ?

J’ai longtemps été journaliste, et je suis encore sur les listes de service de presse de beaucoup d’éditeurs. Je reçois donc beaucoup de livres, de disques. J’estime que c’est un travail assez dur, qui prend du temps… et que, la vie prenant elle-même beaucoup de temps, je n’en ai pas à perdre à lire des merde que l’on m’envoie. Je pense que je fais le bonheur de mes voisins : la benne est toujours remplie de saletés, disques ou livres.

Une grande lectrice, oui, mais uniquement quand il s’agit de choses qui m’intéressent. Il faut que ce soit moi qui cherche pour que je développe un intérêt. Généralement, les livres que je lis sont en rapport avec ce que j’écris. C’est une habitude d’enquêtrice. Je vais lire cent livres sur un sujet.

Quand les gens viennent chez moi, ils sont surpris, parce que je n’ai pas finalement beaucoup de livres. Ceux que je possède sont devenus des livres-fétiches.

 

Quels sont ceux qui vous ont aidée à vous construire et ceux que vous conservez ?

Je n’ai jamais vu mes parents lire de ma vie. Ni même écouter de la musique. Ils étaient tellement occupés par leur travail qu’ils n’avaient aucun loisir. Donc livres et musiques sont vraiment des éléments qui m’appartiennent.

Un livre a changé ma vie, même si on me dit souvent que se baser dessus est une honte : Evguénie Sokolov de Gainsbourg. Je ne connais aucun livre qui soit aussi drôle, scato mais à la fois bien tourné. Je trouve que chaque mot y est à sa place. Selon la légende, il aurait mis six ans à l’écrire. Ce tout petit truc est mon livre préféré. Je l’ai dans son édition d’origine. Il m’a été offert par une amie de Serge Gainsbourg, et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux.

Sinon, Cocteau est une obsession pour moi. J’ai même un tatouage de Cocteau sur l’épaule. Autre obsession absolue : Fou de Vincent de Guibert. Je trouve cette idée d’histoire d’amour construite à l’envers absolument magnifique. Et aussi L’Effondrement de Scott Fitzgerald, les 21 recettes de mort violente de Vercors, parce que c’est ma forme d’humour… J’aime beaucoup les Lettres à Pauline de Stendhal, l’idée de cet enseignement, comment vivre dans le monde, comment se hisser dans le monde.

L’éditeur Christophe Lucquin, pour lequel j’ai travaillé, m’a fait découvrir les auteurs latino-américains, et je suis devenue une folle absolue de Mario Bellatin. Les livres de Bellatin se répondent. Ce sont des puzzles. On est à la limite de l’art contemporain. C’est absolument extraordinaire.

 

Vous souvenez-vous de la première phrase que vous avez écrite en qualité d’écrivain ?

Je ne peux pas vous citer de phrase, mais je peux vous dire ce que j’avais fait en premier : un bouquin qui s’appelait Oppression tyrannique du roux. C’était sur la passion que j’entretiens pour les gens roux. Il y avait un autre livre qui s’appelait L’imposture rock. Comment construit-on un produit rock ? Qu’est-ce qui est rock et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Je pense d’ailleurs que mes prochains romans traiteront l’imposture en général. Qu’est-ce qu’une imposture littéraire ? Qu’est-ce qu’une imposture rock ? Comment la construire et avec quels éléments ? Cela me passionne, parce que j’ai souvent l’impression d’être entourée d’imposteurs.

 

Justement, comment jugez-vous les écrivains de votre génération ?

Je ne m’y intéresse pas du tout. Je suis déconnectée du monde.

Vieux réflexe de journaliste : ma télé est en permanence allumée sur les news. C’est très répétitif, je ne peux rien rater. Mais pour ce qui est de la littérature, je n’ai pas envie de savoir, parce que la plupart du temps, ce sont des ouvrages qui me révoltent. Ce n’est pas que c’est nul… Mes romans, ce sont des pages pleines de larmes. C’est vraiment très dur pour moi. Alors j’ai beaucoup de mal avec les produits commerciaux… J’ai eu un poste de directrice de collection, justement chez Christophe Lucquin : le nombre de manuscrits que l’on reçoit et qui sont illisibles, ou tournés de manière à ce que ce soit bien putassier, sans qu’il n’y ait aucun fond ! Personnellement, j’applique cette règle de base qu’on apprend en école de journalisme : chaque histoire doit être représentative d’un tout plus large. C’est la base. Je ne sais plus quel éditeur a donné une interview à un journal pour expliquer qu’on n’en peut plus des histoires du décès de la mère, du père, de la grossesse avortée, que cela ne nous intéresse pas. Ce sont des gens qui restent au stade de leur histoire personnelle. L’histoire de chacun n’intéresse personne. Il faut savoir en faire un tout.

C’est que j’ai voulu faire avec Rigide Barbot, offrir plusieurs axes de lecture. Il faut les penser, les réfléchir. C’est tout de même assez compliqué. Il y a la relation avec l’éducation, la bêtise de l’éducation en général, quelle qu’elle soit et la question : « Comment se détacher de son éducation ? » Ou alors faut-il s’y plier et s’y référer comme un phare dans la nuit ? Le monde est-il si laid de l’autre côté du périphérique ? Peut-on se permettre de le penser quand on n’y a jamais mis un pied ?

On m’a aussi beaucoup demandé pourquoi j’avais pris un narrateur masculin. C’est parce que j’ai voulu que ce personnage ait une distance par rapport à moi. Est-ce suffisant ? Je ne sais pas.

 

Justement, quel rapport entretenez-vous avec les personnages de vos romans ?

Je crois que c’est Annie Duperey qui disait que les personnages sont comme les membres d’une famille avec lesquels on vit pendant un certain temps ; on est heureux de le faire, mais quand on s’en débarrasse, on est encore plus content. C’est ça.

Mes personnages, je les invite à dîner, à passer un certain temps chez moi, et au bout d’un moment, je ne peux plus les supporter, et je les mets à la porte. C’est tout. Je m’en débarrasse. Sachant que dans chacun de mes personnages, il y a une partie de moi, c’est donc une partie de moi que je mets à la porte de chez moi…

 

Finalement, pourquoi écrivez-vous ?

Fille de criminologue, donc de psy, j’ai très vite appris qu’écrire était le moyen le plus silencieux et le plus efficace… Je considère la littérature comme une arme. Je ne sais plus disais : « À quoi sert d’aller chez le psy quand la littérature est faite pour le remplacer ? » Je suis au-dessus de ça. Pour moi, la littérature est un medium pour transmettre, à la limite un message personnel sous couvert de messages plus universels, et qui va s’adresser à des personnes en général, soit pour les humilier, soit pour récupérer mon honneur. C’est affreux à dire ; je pense que peu de gens oseraient le dire. C’est une démarche qui est, finalement, très égoïste, mais destinée à être altruiste, une fois qu’elle est partagée.

 

Propos recueillis par Joseph Vebret (janvier 2014)

© Photos : Guillaume Eymard et Studio Harcourt

 

Clarisse Mérigeot, Rigide Barbot et les nègres de la plage, Petit manuel de torture bourgeoise à mettre en application sur les Nègres de la plage, Jacob-Duvernet, novembre 2013, 104 pages, 13 €

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1 commentaire

Avoir comme référence ultime Evguénie Sokolov de Gainsbourg, et juste derrière Vercors... voilà qui en dit long sur Clarisse Mérigeot. C'est de TRÈS loin l'un des tout meilleurs livres de la littérature, quant à Vercors, quel homme !! Chapeau bas...