Interview. Tatiana de Rosnay : Variations sur l’infidélité


Tatiana de Rosnay ne cesse de nous surprendre. Balance ascendant Scorpion, franglaise d’origine russe, elle aime le bleu turquoise, Daphné du Maurier, Virginia Woolf et la musique disco. Son carnet rouge, variations sur l’infidélité, explore les facettes de ce moment où la vie bascule, où l’autre s’avère un inconnu, où chacun réagit comme il peut. Libre et légère, comme dirait Virginia Woolf, Tatiana sonde les couples - les hommes trompent plus que les femmes - joue avec les SMS, les répondeurs, les Toki-Baby, pour dire les choses graves avec humour, son côté british. À l’encre violette, ces confidences, lettres volées, instants pris sur le vif, se dégustent comme des fruits défendus. À la fin d’une nouvelle, on referme le carnet rouge, le sourire aux lèvres, sur une chute dont Tatiana a le secret, pour s’y replonger à la dérobée et l’offrir à sa meilleure amie. Jubilatoire.

 

Comment sont nées ces nouvelles ? Les aviez-vous gardées dans un tiroir ? Certaines ont-elles été publiées dans la presse ?

Certaines de ces nouvelles ont été publiées en 1993 dans un livre (épuisé!) qui s’appelait Mariés pères de famille. Mais d’autres sont totalement inédites. J’ai entièrement repris celles qui ont été publiées il y a 20 ans, car les nouvelles technologies ont changé la donne. Aucune n’a été publiée dans la presse. Mon éditrice et moi-même avons voulu les ressusciter, car dernièrement j’ai publié de nombreuses nouvelles pour des magazines, et, étant donné que c’est un exercice littéraire qui me plaît beaucoup, nous avons pensé que c’était une bonne idée de ressortir ce recueil, remanié.

  

À travers vos romans, vous explorez la mémoire des murs, pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’infidélité ?

J’ai remarqué que dans chacun de mes romans, à part Rose, les couples que je décris sont tous infidèles. Un psy aura certainement beaucoup de choses à dire là-dessus… Plus sérieusement, la mécanique de l’adultère a toujours été une fascination autant pour les écrivains, que pour les cinéastes. Depuis que j’ai lu, jeune fille, Madame Bovary et Anna Karénine, je me suis penchée sur les rouages de l’infidélité.

 

Quel est le fil rouge du Carnet rouge ?

J’ai voulu explorer deux choses, la première : comment on découvre qu’on est trompé. Et ensuite, quelle est notre réaction. Il n’y a pas de parti pris, pas de jugement, ce sont 11 constats d’adultère.  

 

On dirait que les hommes trompent plus que les femmes.

Je ne sais pas si c’est vrai dans la vie tous les jours. En tous les cas, ici j’ai mis en scène plus de femmes trompées que de maris cocus. Mais il y a des femmes volages dans mes histoires également! 

 

Pensez-vous qu’un mari fidèle soit ennuyeux ?

Cette remarque provocatrice est prononcée par le personnage principal de la première nouvelle, une jeune femme atteinte de bovarysme qui s’ennuie beaucoup dans son mariage ! Elle va découvrir à ses dépens que son mari n’est pas exactement l’homme qu’elle pensait connaître... Quant à moi, je ne pense pas du tout que fidélité rime avec ennui… au contraire. Mais je suis quelqu’un de plutôt tolérant et je n’aime pas juger les autres. 

 

En quoi les nouvelles technologies ont changé la donne ?

Un téléphone portable, une messagerie Facebook, un e-mail, toutes ces technologies modernes agissent comme des petits mouchards, regarder les SMS reçus par sa femme ou son mari, cela revient à fouiller dans ses affaires... Il fut un temps où l’infidélité était dévoilée par une lettre, une odeur de parfum sur un mouchoir, maintenant, la trahison est démasquée par un Smartphone. 

 

La jalousie est-elle nuisible ?

Je pense que la jalousie peut emmener très loin, qu’elle peut pousser quelqu’un à déraper, à commettre des actes terribles par vengeance ou trahison. 

 

Pensez-vous qu’un cheveu oublié, un relevé de carte bleue, un Toki-Baby allumé, une clé USB avec des traces, des messages sur un répondeur, sont des actes manqués, une façon inconsciente d’avouer ?

Non je ne crois pas. Je pense qu’il y a des gens qui ont peut-être plus de chance que d’autres, et qui ne se font jamais avoir. Peut-être, en effet, que certains laissent traîner des indices parce qu’ils ont peur d’avouer ?

 

Faut-il dire la vérité au risque de blesser ? Ne craignez-vous pas l’influence américaine du diktat de la transparence ?

Chaque couple a une histoire différente. Chaque histoire d’amour est une aventure personnelle. Je pense que si on tombe amoureux de quelqu’un d’autre, profondément amoureux, il faut le dire à son mari, ou à sa femme,même si c’est très difficile. Certaines personnes ne jurent que par le silence, ne jamais avouer, afin de ne pas blesser. Mais qu’est-ce qui est pire : la trahison ou la vérité ? Débat intime. 

 

À votre avis, pourquoi est-on infidèle ?

Je ne suis pas la spécialiste de l’infidélité ! Loin de là...

 

Est-ce plus facile pour vous d’écrire en français ?

Non, c’est différent. J’ai appris les deux langues en même temps, je suis incapable de choisir laquelle je préfère, autant à l’oral, qu’à l’écrit!  Je suis fidèle aux deux !

 

Quels sont les compliments sur le Carnet rouge qui vous ont fait plaisir ?

Les hommes me disent que je les connais si bien. Les femmes me disent que j’appuie là où ça fait mal... Les deux sourient jaune. Moi aussi. 

 

Vos auteurs préférés ?

Oscar Wilde, Virginia Woolf, Charles Baudelaire, Émile Zola, Patrick Modiano, Daphné du Maurier, Tracy Chevalier, Ian McEwan, Maylis de Kerangal....

 

Votre prochain livre ?

La biographie, ou plutôt le portrait d’un écrivain que j’admire. 

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson (mai 2014)

© photo : David Ignaszewski / Koboy

 

Tatiana de Rosnay, Son carnet rouge, éd. Héloïse d’Ormesson avril 2014, 190 pages, 17 €  

 

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