Interview. Sylvie Nordheim, La Villa du Lac : Retour aux origines…


Au décès de sa mère, Florence hérite d’une villa au bord d’un lac, non loin de Hambourg, dans lequel la défunte a souhaité qu’on disperse ses cendres. Intriguée, la narratrice revient sur le passé trouble de ses parents, notamment sur la mort brutale de son père qui a bouleversé sa jeunesse. Ses parents s’aimaient-ils vraiment ? Sinon, pourquoi une pure Aryenne issue du meilleur gotha prussien aurait-elle fui en 1933 son pays avec un médecin juif que tous les dangers menaçaient ? Ces questions désormais surgissent. Des rencontres fortuites et des confessions tardives permettront à Florence de reconstituer le puzzle de son histoire familiale jusqu’à la dernière pièce qui résoudra l’énigme…

 

Vous avez publié trois romans en trois ans aux éditions Lucien Souny (Moissons amères, 2007 ; Promesse perdue, 2008 ; La Vie en douce, 2009) et puis, depuis quatre ou cinq ans, plus rien… Pourquoi avoir autant attendu pour ce nouveau roman, au demeurant très réussi ?

En fait, j’ai continué d’écrire mais autrement. J’écris depuis deux ans pour le Cherche Midi qui me commande des ouvrages sur des sujets variés. Et je dirige un atelier de théâtre en prison où j’écris avec les prisonniers des pièces avec des objectifs de plus en plus ambitieux puisque les détenus qui se sont produits à l’Odéon en mars dernier sont de nouveau programmés en avril 2015 dans ce même théâtre… Sans compter deux trois projets de théâtre que j’essaie de mener en parallèle, je suis très occupée !

 

Ce texte est assez différent de ce que votre éditeur publie habituellement, je me trompe ?

C’est vrai, Lucien Souny s’est surtout spécialisé dans ce qu’on appelle le roman du terroir. Il a fondé la première maison d’édition dans le Limousin, la patrie de ce courant littéraire lancé par Claude Michelet avec son best-seller Des grives aux loups, un genre très en vogue dans les années 70 et qu’on a baptisé l’École de Brive. Lucien Souny a publié des auteurs dans cette veine, comme Michel Peyramaure, Gilbert Bordes, Jean-Paul Malaval. Mon roman est loin de cet univers rustique, il ne s’ancre pas dans le monde rural, mais il parle de milieu social et géographique. C’est une histoire de famille, une histoire de racines. L’héroïne retourne dans un pays, sur les traces de ses ancêtres.

 

À la différence de Marie, l’héroïne de vos trois premiers romans, qui partait à la quête de son avenir, Florence, le personnage principal de La Villa du lac, part à la quête de son passé.

La condition féminine a changé. Marie est née au début du XXe siècle, elle est fille de paysans, corrézienne, elle fuit sa province pour échapper au sort qui lui est réservé en tant que fille mère. Elle sait parfaitement d’où elle vient et son destin est tout tracé. La situation qui serait la sienne si elle restait dans son milieu naturel est désespérée, désespérante, elle refuse cette fatalité, quitte à prendre des risques, elle n’a pas peur de l’aventure, elle va de l’avant, dans une improvisation totale, comme on dit dans ce temps-là, elle monte à Paris. Florence a la chance d’être née à la bonne époque. Elle a dix-huit ans en 68. La contrepartie, c’est qu’elle n’a aucune raison de se battre, elle n’est mue par aucune nécessité. Sa vie n’est pas palpitante mais elle a un job, un amant et une fille assez grande pour devenir à son tour mère. Elle n’aime pas se regarder dans la glace le matin, non, elle n’aime pas vieillir, mais son avenir n’est pas menacé. En revanche, elle a atteint l’âge où l’on dresse le bilan de sa vie. Cela devient même une question urgente lorsque, au décès de sa mère, un notaire lui annonce que celle-ci a souhaité que ses cendres soient dispersées dans un lac près de Hambourg. Elle a besoin d’élucider un mystère, de comprendre le malaise qui a pesé dans son enfance et qu’elle ne savait à quoi attribuer. Elle devine qu’elle tient peut-être une piste, elle veut savoir d’où elle vient pour savoir où elle va.

 

C’est pourquoi votre histoire s’écrit à rebours, elle commence en quelque sorte par la fin…

C’est une pelote de laine, Florence est tombée par hasard sur le bout du fil et  peut enfin détricoter son histoire. Mais celle-ci se résout progressivement, par étapes, ce qui permet de créer un certain suspens.

 

Vous mêlez aussi d’autres histoires, d’autres époques au récit principal…

Et ces histoires se croisent, se répondent, s’éclairent mutuellement. Les autres personnages du roman vivent parfois des situations similaires. Comme dans la vie. Nous sommes souvent persuadés de vivre des aventures uniques, exceptionnelles mais elles reposent sur les mêmes schémas. Ce sont juste les époques ou les lieux qui changent. Judith, la fille de Florence, épouse par exemple un Rwandais, un Tutsi qui a réchappé du génocide. Ce qui rend folle sa grand-mère qui, pourtant, s’est enfuie de chez elle avec un Juif des années plus tôt.

 

J’ai remarqué que vos personnages sont souvent des étrangers. Dans vos romans précédents, il y avait José, un Espagnol qui était venu en France au moment de la première guerre mondiale pour travailler dans une usine automobile. Dans La Villa du lac, il y a Martha, une Portugaise, Costa, un Grec…

J’aime les déracinés. Ils doivent se battre plus que les autres, ils ont souvent surmonté des tas d’épreuves mais ce sont des héros discrets auxquels on ne prête pas toujours l’attention qu’ils méritent. Je suis peut-être particulièrement touchée aussi par ces personnages parce que, comme beaucoup d’entre nous, je suis d’une certaine façon un produit de l’immigration. Mes grands-parents paternels étaient allemands et c’est un Espagnol qui a reconnu ma mère et lui a donné un nom.

 

Votre récit est à la première personne. Est-ce en partie autobiographique ?

Le « je » est un choix assez pratique puisqu’il permet de s’en tenir à une focalisation interne. Le lecteur sait juste ce que pense le narrateur, en l’occurrence le personnage principal. On peut adopter un point de vue interne dans un roman à la troisième personne mais c’est moins contraignant. Dans un récit à la première personne, on est forcément dans la tête de quelqu’un et pas ailleurs. Le reste n’est que conjectures, suppositions.

La part autobiographique est certes là mais comme dans tout roman. Les romanciers exploitent souvent leur propre expérience, leur propre vécu. Pourquoi s’en priver ? Mais on sélectionne, on superpose, on filtre, on condense. Beaucoup de mes personnages sont des synthèses d’hommes ou de femmes que j’ai bien connues ou simplement croisées. Les personnages et les situations ne sont jamais purement fictives, ils sont généralement inspirés du réel.

Le réel était maigre dans ma famille, aussi bien du côté de ma mère que de mon père. Leurs deux histoires étaient trouées de secrets dans lesquels ni mon père ni ma mère ne souhaitaient qu’on aille regarder de plus près. Ce sont en fait tous ces silences et ces mystères qui ont entretenu ma curiosité et nourri mon imagination. Je n’aurais sans doute écrit aucun de mes livres si je n’avais pas divagué sur ma propre histoire familiale.

Curieusement, je constate que mes intuitions ont été souvent justes. Pour en avoir souvent discuté ensemble, je sais que tu connais ce phénomène. On est frappé par toutes sortes de coïncidences entre la réalité et la fiction lorsqu’on écrit un roman. On peut vraiment parler de ce que Jung appelle la synchronicité. Pour ce livre comme pour les autres, il y en a eu beaucoup.

 

Diriez-vous qu’à la fin de son enquête, en élucidant son passé, Florence a atteint une forme de sagesse ?

Oui, et c’est d’ailleurs ainsi que je conclus mon roman. Mais je préfère ne pas dévoiler la fin car j’ai souhaité ménager un suspens pour tenir, je l’espère, le lecteur en haleine jusqu’au bout.

 

Propos recueillis par Cécilia Dutter (juin 2014)

 

Sylvie Nordheim, La Villa du Lac, Lucien Souny, mai 2014, 208 pages, 16,50 €

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