La Discrète : portrait de Cathia Rocha par elle-même

L’univers pictural de la Suissesse se fraye un passage dans l’entre-deux du figural et de l’abstrait, de la vie et de la mort. C’est pourquoi sans doute l’œuvre de l’artiste est marquée par l’angoisse. Non parce que la mort existe mais parce qu’elle est toujours là, encore là, présence au fond de l’absence, jour inexorable sur lequel se lèvent et se couchent les lumières des oeuvres de l’artiste. S’y jouent des apparences inconnues et les impressions complexes que celles-ci peuvent ouvrir.

 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Parfois le réveil, parfois le soleil. Avec l'agréable pensée que je me coucherai moins bête que la veille.


Que sont devenus vos rêves d’enfant ? À dire vrai, j'ai parfois du mal à me considérer comme une adulte ! Ces rêves sont donc toujours bien présents dans ma vie, tout comme dans mon travail d'ailleurs.


A quoi avez-vous renoncé ? À vouloir absolument tout maîtriser parfaitement. Enfin pas vraiment... mais j'y travaille.


D’où venez-vous ?  Je suis une Portugaise née en Suisse qui a grandi comme une Valaisanne. Je travaille en terres vaudoises la semaine, mais rentre en Valais presque tous les weekends. Une transhumance hebdomadaire qui perdure depuis mes études. Je viens de partout et nulle part à la fois. Culturellement, socialement, administrativement, toujours le cul entre deux chaises.


Qu'avez-vous reçu en dot ?  De mes parents immigrés, la valeur du travail, assurément. Mais également, et parfois malgré moi, une certaine sensibilité aux superstitions et aux vieilles histoires de grands-mères.


Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Je dirai « pas assez de choses ! » bien que je ne voudrais rien plaquer en réalité. J'aimerais avoir plus de temps, me dédoubler ou avoir une deuxième vie.


Un petit plaisir - quotidien ou non ? Le petit déjeuner du dimanche matin. 


Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Difficile à dire sans paraître prétentieuse ou même donner l'impression que je me sous-estime. Du reste, se définir comme une artiste peut déjà représenter une forme de prétention.  Aussi pour répondre à cette question, faudrait-il bien connaître le travail de ces autres artistes. D'ailleurs, lesquels ? Tous ? Finalement, vous êtes le mieux placer pour répondre à cette question.


 Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? Les illustrations d'oiseaux issues d'un magnifique livre que j'avais reçu enfant et que j'ai malheureusement égaré. Dans mes souvenirs, ces images sont comparables aux créations de James Audubon ou d'Ernst Haeckel.


Et votre première lecture ? Le livre que je considère comme mon premier roman est « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll offert par ma mère. Il m'a fallu du temps pour le lire car je trouvais qu'il y avait trop de texte et pas assez d'images. Des illustrations qui m'ont d'ailleurs beaucoup marquées aussi, des reproductions de gravure que je copiais en dessin.


Comment pourriez-vous définir votre travail sur les formes qu'on pourrait qualifier d'utérines   ? Utérines ? Intéressant. L'art a cela de formidable, chacun peut y voir ce qu'il veut. Une liberté. Je dirais que mon travail est composé de formes organiques et animales à la fois. Les inspirations sont multiples : les structures, les textures, les fourrures, les poils, les déformations, les anomalies, les mythes, le surnaturel... Les références voguent ainsi souvent entre fascination et dégoût. Un cabinet de curiosités. Un freak show. Une naturaliste d'un autre genre.  Ce sont finalement des collages, des assemblages d'éléments collectionnés ça et là (images, textes, quotidien, actualités, etc.) dont il ne reste que des souvenirs flous, déformés et flottants. J'aime d'ailleurs les comparer à des haïkus. En trois vers parfois incompréhensibles, ils célèbrent des observations du quotidien. Un moment suspendu dans le temps, presque insaisissable.


Quelles musiques écoutez-vous ? J'écoute beaucoup de musique pendant mon travail. Cela fait presque partie du processus. La musique me permet de me mettre dans une bulle, une forme de méditation. D'ailleurs, je ne l'entends plus au bout d'un certain temps. Pendant le dessin, je choisis des chansons qui sont proches de mon « univers » comme la musique de Portishead, de Massive Attack ou encore de groupes tels que Grizzly Bear ou Other Lives. Des mélodies généralement calmes car mes dessins demandent une certaine application dans leur réalisation, donc pas de Rammstein.


Quel est le livre que vous aimez relire ?  Il y en a deux : « La Grande Peur dans la montagne » de Ramuz et « Les Catilinaires » de Nothomb.


Quel film vous fait pleurer ? Il n'y en a pas un en particulier. Je pleure assez facilement devant la télé.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? Quelqu'un d'assez ordinaire et qui paraît plus jeune que son âge. C'est, du moins, une remarque que l'on me fait régulièrement.

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? Peut-être à certaines personnes du milieu de l'art.


Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Le Valais et le Japon (même si je n'y suis jamais allée) pour leurs traditions et croyances.


Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ? Ramuz pour son intérêt pour le Valais et sa manière de décrire des paysages, Nothomb pour son côté étrange et un peu fou ainsi qu' Alfred Kubin, notamment pour son livre « Le travail du dessinateur ».

Du côté des artistes, je dirais Tara Donovan pour la répétition de structures, Judith Scott pour l'obsession des fils et ses cocons étranges ainsi que Matthew Barney pour son univers particulier, spécialement dans son œuvre « Drawing Restraint 9 ». Enfin, des dessinateurs naturalistes tels que Haeckel ou Audubon.


Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un dessin.

Que défendez-vous ?  Je ne défends rien de particulier.


Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"?  Au premier abord, une définition désespérante de l'Amour à laquelle je n'adhère pas.  Puis, je l'ai relu cette phrase, plusieurs fois, pour mieux la comprendre. Et j'ai finalement réalisé, que ces propos intellectualisants, ces rébus de philosophes façon Père Fouras me fatiguaient quelque peu. Oui, ma cervelle est parfois flemmarde.


Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Qu'il a beaucoup d'humour (et j'espère que l'interviewer en a tout autant pour le coup).  Mais de manière plus générale, elle me fait également penser à ces moments où l'on ne prend pas le temps de considérer les questions ou qu'on ne les a tout simplement pas comprises ! Par peur de perdre la face ou de passer pour un imbécile, il faut absolument répondre et le « oui » offre peut-être plus d'ouvertures, d'issues de secours...


Quelle question ai-je oublié de vous poser ?  Au quotidien, je suis quelqu'un qui se pose sans arrêt des questions et qui réfléchit beaucoup, du genre angoissée, toujours dans le doute. Alors penser à une question qu'on ne m'aurait pas posée, c'est presque de la torture.


Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret en août 2014

 

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