Interview. Sandrine Willems : Une femme incendiée ?

Sandrine Willems, vous venez de donner aux éditions Les Impressions nouvelles un texte intitulé Carnets de l'autre amour, qui navigue aux confins de la philosophie, de la psychanalyse et d'une certaine recherche mystique.
D'où vous viennent ces Carnets ?


Moi-même je viens d'assez loin : je suis passée par le théâtre, le cinéma, et en effet la philosophie (avec une thèse sur Georges Bataille) et la psychanalyse ; j'ai écrit des romans et j'ai donné au Seuil en 2011 un essai, L'Animal à l'âme, sur les psychothérapies avec des animaux. Et depuis presque six ans, je travaille comme psychologue avec des toxicomanes. Dans ces Carnets de l'autre amour, une réflexion sur mon travail avec les patients se lie à une méditation sur l'amour, au sens le plus large du terme.

Dans ce livre, vous évoquez notamment votre rapport aux animaux. Quel rôle ont-ils joué pour vous ?

Il y a d'abord eu la rencontre d'un chien, qui m'a révélé cette passion pour les animaux et m'a poussée à m'interroger sur leur altérité. J'ai avant tout abordé la psychologie parce que je m'intéressais à la relation aux animaux. Travailler dans le sud, dans la lumière, m'est alors apparu comme une nécessité. J'ai eu le désir de créer un lieu thérapeutique avec des animaux, de manière à aborder la toxicomanie d'une façon différente.

Vous avez écrit des fragments : un ensemble de notes prises dans des carnets, sur des questions qui vous tiennent à cœur – ce que c'est que l'amour, qu'est-ce que se donner aux autres, ce qu'on apprend des autres dans cette démarche... Comment en êtes-vous venue à cette écriture-là ?

J'y suis venue pour des raisons affectives, à cause d'une rencontre qui me plaçait face à ma manière d'aimer... Et là, pour voir s'il y avait une constante, je suis retournée lire mes notes dans des carnets que je tenais depuis l'âge de onze ans, que j'avais gardés. Bien sûr, j'ai réécrit l'essentiel, en y intégrant mes notes sur le travail avec les patients, autour d'un questionnement qui rejoignait mes interrogations sur l'amour.

Tout en vous posant des questions sur l'oralité, vous semblez avoir en la parole une grande confiance. Une confiance excessive ?

Oui, parfois je suis stupéfaite d'y croire encore tellement, parce qu'elle m'a joué quand même bien des tours ! Mais c'est plus fort que moi. C'est pire qu'un acte de foi, c'est quelque chose de spontané. Alors que je sais bien que ce n'est pas toujours rationnel... Si je suis face à quelqu'un qui ne croit pas en la puissance de la parole, ça me fait violence.

Vous écrivez, dans la dernière partie du livre : « Les mots font à l'amour ce que le vent fait au feu : ils l'affolent. » Pour vous, il y a comme une nécessité, avec l'amour, d'user des mots...

Oui. C'est comme s'il y avait dans les mots un révélateur, au sens photographique, d'une part d'indicible. Parce qu'en même temps, en lien avec mon intérêt pour les animaux, je suis particulièrement sensible à ce qui est indicible... Dans tout ce que j'ai écrit, je me suis passionnée pour ce qui ne peut pleinement s'exprimer : la mystique, la musique... Comment s'approcher d'une vérité par les mots...

Il me semble que Lacan disait que « la vérité, on ne peut pas la dire toute. C'est même par cet impossible que le langage tient au réel. »

En effet, c'est une sorte d'asymptote, on s'approche d'une certaine vérité, on sait qu'on n'y arrivera pas, mais on continue.

Vous avez écrit, peu après : « À relire mes lettres d'amour, ma vie m'apparaît comme un cri ininterrompu... » Vous dites : « à relire » ? Vous les avez pourtant envoyées !

(Rires) Je faisais des brouillons en cascade, et je gardais ces brouillons, donc j'ai pu relire les brouillons de certaines lettres – ce n'était pas systématique ! J'en ai relu certaines, oui...

C'est surprenant, parce qu'à la fin de votre livre, vous écrivez que le 29 janvier 2013, il s'est produit un immense incendie chez vous, et que tous vos carnets, ceux qui présageaient ce livre, ont été détruits : tout a été brûlé.

C'est vrai, cet incendie a ravagé tous mes livres, toutes mes affaires, mais peu de choses ont été vraiment réduites en cendres. Et cependant, tout ce que je venais de relire a été détruit. J'avais heureusement transcrit la plus grande partie sur mon ordinateur, qui n'a pas été endommagé. De toutes façons, rien n'a été repris tel quel : j'avais déjà réécrit ces carnets, puis j'ai donné une sorte de postface à ce livre, sous la forme d'un poème, que j'ai intitulé « L'incendiée ».

D'une certaine façon, vous avez voulu que toutes ces traces soient détruites...

C'est très bizarre... Car parmi le peu de choses qui ont été totalement détruites par l'incendie, il y avait ces carnets. Le feu abîme et noircit, mais parfois il consume très peu. Seuls ces carnets ont été réduits en cendres. Il n'empêche que j'ai été obligée, durant un an et demi, d'habiter ailleurs...

Vous avez longuement travaillé avec des animaux, et vous relevez que l'âme, c'est «anima», et que l'animal pourrait bien en être doté, lui aussi ?

Cela se trouve surtout dans mon livre précédent, L'Animal à l'âme ; et oui, bien sûr, il existe une forme de psychisme chez l'animal, à un degré différent de l'humain, mais ce qui m'intéresse, c'est le moment de la rencontre. On vit dans des mondes différents, et en même temps, on partage quelque chose d'inexprimable. Ce n'est pas la même chose qu'avec un humain, et c'est très troublant. C'est autre chose, et c'est fort difficile à cerner.

Les nombreuses qualités de votre livre, sa grande force, sa sincérité, sa très grande générosité, laissent cependant une sorte de blanc, ou un manque : le monde n'est pas très présent – notre planète, les continents, les autres cultures. Comment expliquez-vous cette sorte d'absence ?

C'est sûrement vrai. Je n'aime pas les voyages, et tout le monde me tombe dessus quand je dis que je n'aime pas voyager, mais ils me causent trop de désagréments extérieurs, tandis que mes voyages à moi sont avant tout intérieurs. J'essaye de plus en plus de réduire la part de l'extérieur, il y a là quelque chose d'une vie de moine !... Je suis dans un processus de simplification, parce que je déteste la distraction, la dispersion... Je crois que plus on réduit, plus on se consacre au microcosme, à ce qui me semble important. C'est sans doute une mystique : je n'ai pas encore vécu cela suffisamment, et je veux l'explorer.

 

Propos recueillis par Bertrand du Chambon

 

Sandrine Willems, Carnets de l'autre amour, éditions Les Impressions nouvelles, mai 2014, 208 p.-, 17 €

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2 commentaires

Je connais de Sandrine Willems le joli texte Eros en son absence , alors je suis curieuse de lire ces Fragments, dont je viens de découvrir un extrait ici :


je suis en train de lire "Carnets de l'autre amour"... C'est indicible cette force, cette beauté... je sors de 3 ans de passion amoureuse pour ... un fou ...
je voudrais contacter Sandrine Willems... Comment faire ? merci