Interview. Bertrand du Chambon : « Yugurthen pourrait bien devenir un personnage récurrent »


— Comment êtes-vous passé du roman historique au polar, un genre dans lequel on ne vous attendait pas ?

À dire vrai, j'avais écrit un roman d'aventures – philosophique et historique : Flavie ou l'échappée belle , puis sa suite : La Lionne. Mais si l'on veut qu'il soit avant tout historique, cela ne me gêne pas... J'ai aussi écrit des romans, des nouvelles, de la poésie, des chansons, un essai, des chroniques littéraires, des scénarios de films, du théâtre, etc... Pour moi, le polar est un genre comme un autre. C'est même une forme de la poésie, tout comme le roman. Jean Cocteau appelait ses œuvres : poésie critique, poésie de roman... C'est ce que j'essaie de faire.

 

— Voici donc venir un nouveau personnage de flic, Yugurthen Saragosti. Qu’est-ce qui le différencie de ses confrères de papier : Jean-Baptiste Adamsberg, Jules Maigret ou le commissaire San-Antonio ?

Yugurthen est un gars bizarre : il est juif originaire du Mzab, et pourtant attiré par le mysticisme soufi ; il est flic, et cependant il est doux ; sa carapace est mince ; il est sans scrupules, mais il est amoureux ; et parfois il a des scrupules, mais il n'en tient pas compte ! C'est un être paradoxal, comme nous tous.

 

— Comment avez-vous construit le personnage pour faire en sorte qu’il soit crédible et cohérent ?

Il s'est construit tout seul, et je l'ai aidé.

 

— Y a-t-il une partie de vous dans ce personnage ? Finalement, n’écrit-on pas pour se connaître soi-même ?

Il y a sans doute des parties de « moi » dans ce personnage, mais hélas je suis si nombreux que j'ignore à quel « moi » il a emprunté des traits !

 

— Votre roman met en scène un inspecteur de police dans un décor et une ambiance glauque, parfois sordide. Qu’est-ce qui vous attire dans la noirceur ?

Notre monde est « parfois sordide », comme vous dites. J'écris notamment pour essayer d'accepter cette noirceur.

 

— L’intrigue se déroule dans le milieu de la pègre marseillaise. Vous êtes-vous beaucoup documenté ? Êtes-vous un grand lecteur de littérature policière ?

Je lis quelques romans noirs, bien sûr... Et lorsque j'habitais à Marseille, je faisais parfois des vide-greniers sur le marché des Arnavaux et ailleurs. J'ai parlé avec des gens, toutes sortes de gens. J'ai discuté avec des gangsters venus de pays lointains, avec des trafiquants, des tueurs, de futures victimes. Et avec un fabricant de couteaux.

 

— Rédigez-vous un plan à l’avance ou laissez-vous courir vos doigts sur le clavier ?

Je laisse mes doigts courir : le plan se fait tout seul.

 

— Au-delà de ce roman, je veux faire référence au reste de votre production, quels sont les livres qui vous ont façonné, fabriqué ? Et quels sont ceux qui vous accompagnent aujourd’hui ? Qui trouve-t-on dans votre bibliothèque ?

Je n'ai pas de « production » !... Seulement des créations. J'ai lu énormément, autrefois. Encore deux ou trois livres par semaine, aujourd'hui. Pour ne mentionner que les lettres A, B et C, il y a dans ma bibliothèque Apollinaire, Augiéras, Borges, Brauquier, Burroughs, Céline, Cendrars, Cocteau... Mais il y a aussi Liz Rigbey et Simenon...

 

— Vous souvenez-vous de la première phrase que vous avez écrite et du moment où vous avez eu envie de devenir écrivain ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?

Je ne me souviens pas. C'était il y a 45 ans ! J'avais envie d'écrire. J'ai essayé, puis j'ai continué.

 

— L’écriture est-elle chez vous une seconde peau ? Êtes-vous constamment en éveil ? Prenez-vous beaucoup de notes ? Vous astreignez-vous à une régularité ?

J'écris presque tous les jours, mais cela varie : de une ligne à vingt pages. J'utilise de petits carnets, des stylos, et deux ordinateurs.

 

— Quel est votre rapport à la réalité ?

Il me semble que l'une des plus grandes erreurs humaines est de croire que notre monde est connaissable, et connu. Je pense pour ma part que le monde est méconnaissable. La « réalité » que nous percevons est un ensemble de minuscules fragments.

 

— Vos romans reflètent-ils votre vision des relations humaines ?

Sûrement, oui. Mais il faudrait que j'écrive encore cinquante romans pour rendre compte de ma vision des relations humaines !

 

— En général, quelles sont vos sources d’inspiration ?

Je me balade. J'observe les gens. Je les écoute. Et je lis quelques livres. Les journaux, aussi.

 

— Yugurthen Saragosti est apparemment amené à devenir un personnage récurrent. Travaillez-vous déjà sur la suite de ses aventures ?

Yugurthen pourrait bien devenir un personnage récurrent, mais il faudrait qu'il se tienne un peu tranquille. Il n'arrête pas de courir partout. Je crois qu'il était en Espagne, récemment, occupé à suivre des trafiquants de coke...

 

Propos recueillis par Joseph Vebret (octobre 2014)

 

Bertrand du Chambon, Yugurthen, Le Seuil, octobre 2014, 232 pages, 18 €

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