Interview. José Correa : "François Augièras a changé ma vie"


Après Augiéras, le maitre des Fougères, José Correa, revient sur l’amitié qui le lia à l’écrivain et peintre François Augièras.

 

— Vous venez de publier un recueil quelque peu mystérieux de textes et de dessins consacrés à François Augiéras. Quelle est la genèse de cet ouvrage et surtout qui était François Augiéras pour ceux de nos lecteurs qui ne le connaîtraient pas ?

Je n’avais, au départ de ce livre, aucun plan. Après un premier dessin pour essayer une technique, sur un certain papier, je décidais de continuer au rythme d’un flâneur sur le thème de notre rencontre aux Fougères. Dessins et textes comme un journal. En une année, volume important mais pas cohérent. Il me fallait lier l’ensemble. Je supprimais certaines planches, en rajoutais de nouvelles. Le livre s’est imposé à ce moment-là. Le vrai travail, fiévreux et jouissif. Comme si je faisais un nouveau livre. Toujours difficile de conclure. D’ailleurs, j’ai terminé ce livre par un « à suivre »…

François Augièras est un écrivain et peintre français, né à Rochester (Etat de New-York, Etats Unis) le 18 juillet 1925 et décédé à Périgueux (Dordogne, France) le 13 décembre 1971. La suite dans Wikipédia… Quelques livres : Le vieillard et l’enfant, Une adolescence au temps du Maréchal, Un voyage au Mont Athos, L’Apprenti sorcier Domme ou l’essai d’occupation.

 

— Racontez-moi ce qu’étaient « les Fougères ».

Le Château des Balans, maison de convalescence, planqué entre collines et bois au lieu dit « Les Fougères », près de Brantôme en Périgord Vert. François Augièras se remettait d’un infarctus. Solitaire et discret, il cherchait son île déserte. Au fond du parc, une vieille serre abandonnée serait son atelier. A cette époque, il avait délaissé la peinture pour écrire Voyage au Mont Athos qui sera publié, début 1970, chez Flammarion. Impressionné par l’homme, chaque matin, j’allais « au charbon »… je voulais apprendre. Et Il savait…

Maître patient et généreux, il m’initia à la peinture à l’huile. La composition, la matière, l’Art…

 

— Vous avez été très proche. Est-ce par lui que vous êtes venu à la peinture ?

Depuis toujours, j’écris et dessine « la vie ». François Augièras a changé la mienne. J’avais 18 ans et si je dessinais déjà, j’ignorais qu’on pouvait en faire son « métier ». Souvent, il me disait : « ne sois jamais un peintre « amateur ». Tu en boufferas ou crèveras mais si tu n’es pas capable d’assumer, fait un autre métier ! »

Il savait de quoi il parlait, il en a crevé toute sa vie…

Il était le premier « artiste » que je rencontrais. Mon seul Maître. J’ai aussi été son seul élève. La peinture nous a rapproché mais pas seulement. Mes origines… Portugais né au Maroc  (il avait lui-même vécu en Afrique du Nord). Le vagabond que j’étais, mon gout pour la poésie. Il avait très vite senti ma soif d’apprendre.

 

— Vous semblez avoir une prédilection pour les écrivains. Comment vous est venue l’envie de réaliser leurs portraits ?

J’ai dessiné très tôt et le portrait me fascinait. Retrouver les traits par le trait. Au premier coup d’œil, il me fallait l’émotion. Cette sensation fragile et impalpable.

La ressemblance avant tout… Mes premiers portraits furent les musiciens et comédiens que j’aimais. C’est Rimbaud qui m’a ouvert aux écrivains.

 

— Pour ce qui n’est ni la musique ni la littérature, quelles sont vos sources d’inspiration ?

Ce qui me touche. Mes débuts ont été impressionnistes. A suivi le surréalisme. L’univers du rêve et du cauchemar. Très noir. Après la trentaine, lassitude, impression de raconter la même histoire et vouloir y mettre fin.

Après une année de doute, l’envie de repeindre. Ne plus replonger dans la « méthode ». Regarder en face la vie. Chevalet dans la nature. Retourner à ma source. Pendant cette période de doute, je n’ai pas cessé mes portraits et mes nus.

 

— Êtes-vous un grand lecteur ? Quels sont les livres qui vous ont façonné, fabriqué ? Et quels sont ceux qui vous accompagnent aujourd’hui ? Qui trouve-ton dans votre bibliothèque ?

Oui. Beaucoup lu. Moins aujourd’hui. Peu d’auteurs me secouent. Dans l’énorme production actuelle, je suis certain de découvrir quelques grands écrivains- livres. Mais je ne cherche pas. Aucun effort. Un ami me parle d’un livre, un hasard de librairie. Jamais je n’achète un livre encensé par la critique.

Ceux qui m’ont fait : liste longue. J’ai découvert la lecture par la BD. Fan de comix américains. Et Rimbaud à 11 ans. Camus, je suis allé à lui d’abord pour le soleil d’Afrique du Nord. Je reconnaissais ses parfums. Giono, lorsque je lis Giono, je reviens souvent en arrière pour me régaler plusieurs fois de ses mots. Beckett. A 20 ans la lecture de son « Molloy » m’a dérouté et émerveillé. Céline, dont je ne dirais rien ? Quoi dire… Duras, Ajar, Audiard, Bory, Hemingway, Carver, Bukowsky, Miller,  Fante, Brautigan, Sheppard, Pessoa et bien sûr Tabucchi, Barrico, Buzzati.

Que les autres me pardonnent, ils sont dans ma bibliothèque et ils le savent…

 

— Le dessin est-il chez vous une seconde peau ? Êtes-vous constamment en éveil ? Prenez-vous beaucoup de notes ? Vous astreignez-vous à une régularité ?

Le dessin n’est pas une seconde peau, c’est ma peau… J’ai toujours un carnet sur moi et dessine tout ce qui bouge. J’ai parfois l’impression d’être un grand malade. Et si à certains moments je ne peux pas dessiner, j’enregistre sur ma plaque sensible. Chaque matin  je fais mes gammes pour délier ma main et mon esprit avant de bosser vraiment.

 

— Vous souvenez-vous de votre premier dessin ?

Le premier dessin dont je me souviens et qui me semblait superbe est un marin. J’étais tout petit. J’en voyais souvent, je vivais dans un port. L’uniforme blanc et le pompon rouge  tout en haut. Je l’ai gardé longtemps. Disparu lorsque j’ai quitté le Maroc.

 

— Quel est votre rapport à la réalité ?

La réalité. Quelle réalité ? J’ai l’impression de vivre une vie banale et privilégiée. Celle d’un créateur qui ne sait pas qu’il crée mais qui ne peut pas faire autrement. Je fais. Ferré disait : «  Muss es sein, es muss sein. Cela doit-il être, cela est… »

 

Propos recueillis par Joseph Vebret

 

José Correa, Augieras 68 et autres nouvelles des étoiles, textes et dessins en noir & blanc, Akibooks, octobre 2014, 72 pages, 22,50 €

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