Celui qui ne perd plus son temps avec ceux à qui il n’a rien à dire : Entretien avec Frédéric Khodja.

« On me reproche souvent de ne pas avoir de théorie. Si, j’ai une théorie dans la mesure où j’ai une conviction. Je ne l’expose pas mais elle toujours présente au moment où j’aligne les faits les uns à côté des autres. Elle surgit d’elle-même après. Quand je commence une chose, je ne sais pas où cela va me mener et puis je m’aperçois que c’est toujours le même problème que j’aborde sur un plan différent» écrit Frédéric Khodja. A chaque photo du passé qu’il recueille l’artiste ajoute une pointe d’eau de vie donc de présent. Tout devient ébullition. Le créateur en retient l’écume : elle nappe le logos pour le modifier. Preuve que par delà la théorie et la rhétorique Frédérique Khodja aime ce qui lui échappe. Il se veut captif autant que captivé. L'image c’est bien sûr l’absence, c’est l’ « elle n’est pas là ».   Elle est aussi abstraite que charnelle. La tête y court plus vite que les fantasmes. Car il existe en elle - qu'elle soit « pieuse » ou « blasphématoire » - des choses dont personne ne se souvient et qui ne sont peut-être jamais arrivées. Mais, dès que l'auteur les montre et en parle, elles renaissent de leur sépia.

 

 

 Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? L'instant d'après le silence du petit matin, l'instant où ce silence quitte ma chambre et la ville.

 

Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Je n'arrive pas à associer "vos rêves" et "d'enfant". Je rêve et j'ai été enfant. Parfois je rêve en enfant.

 

A quoi avez-vous renoncé ? La boxe, les repas avec des convives à qui je n'ai rien à dire, certains amis.

 

D’où venez-vous ? De la place de la Bourse à Toulouse au numéro 1. Un ventre imaginaire.

 

Qu'avez-vous reçu en dot ? La fabulation, la fiction.

 

Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Des fantasmes.

 

Un petit plaisir - quotidien ou non ? Regarder par la fenêtre. Ecouter la radio.

 

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? À priori, mon patronyme.

 

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? Un château où j'ai vécu enfant.

 

Et votre première lecture ? Les mythologies contes et légendes chez Gallimard, les albums du Père Castor chez Flammarion.

 

Pourquoi votre attirance vers la recollection d'images ? Je les vois et elles aussi.

 

Quelles musiques écoutez-vous ? En ce moment Marvin Pontiac. Tout le temps, Franz Schubert.

 

Quel est le livre que vous aimez relire ? « L'éloge de l'ombre » de Tanizaki.

 

Quel film vous fait pleurer ? Le mépris de JLG. je pleure parfois avant la scène de l'accident en sachant la disparition à venir. Dans le réel c'est la mort de la jeune soeur de ma mère quasiment à la même époque.

 

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? Des gouttes d'eau qui laissent des traces.

 

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? Je n'ai pas osé écrire une quatrième lettre à Philippe Jaccottet. À Jean-Claude Brisseau pour lui écrire que son dernier film "La fille de nulle part" me bouleverse.

 

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Rome.

 

Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?  Werner Herzog, David Claerbout, Hercule Seghers, Fred Astaire, Bruno Schulz.

 

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Les clefs du palais Prosperi Sacrati à Ferrare pour un été. Les recevoir dans un coffret, un 16 juillet.

 

Que défendez-vous ? Celles et ceux que j'aime.

 

Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? "Je te demande de refuser ce que je t'offre" du même auteur.

 

Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Je préfère imaginer des questions. Quelle était la réponse ?


Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Aimez-vous cuisiner.

 

Entretien réalisé le 22 janvier 2015 par Jean-Paul Gavard-Perret


De Frédéric Khodja, « Les yeux des filles fleurs », Editions Derrière la Salle de bains, Rouen, 10 euros, 2015.

 

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