Interview. Élise Fischer, L’Étrange destin de Marie : « L’histoire de celle qui sauva celui qui l’avait sauvée… »


On ne présente plus Élise Fischer, auteur lorraine de nombreux romans à succès écrits au fil d’une œuvre prolifique et généreuse commencée en 1998 (Les Enfants de l’apartheid, Fayard), s’enrichissant depuis chaque année d’un nouveau titre avec une régularité sans failles.

C’est donc avec L’Étrange destin de Marie qu’elle démarre en beauté cette saison littéraire, fiction qui prend appui sur un accident ferroviaire réel – la catastrophe de Lagny-Pomponne où deux trains se sont percutés au soir du 23 décembre 1933, faisant 217 morts et 300 blessés – pour s’attacher au sort d’une jeune cantatrice, survivante mais prise au piège de l’amas de tôle et de débris fumants résultant du choc.

En cette nuit glaciale, son sauvetage s’annonce long, aléatoire et difficile. Invisible sous la ferraille, meurtrie, grelottante, Marie tient bon, trouvant encore la force de chanter et de se confier au médecin de la ville voisine qui, appelé en renfort, tente de la réconforter comme il le peut en attendant la grue qui doit la délivrer.

Curieusement, l’évocation par la jeune femme des noms de certains de ses proches semble faire remonter chez ce dernier un passé enfoui qu’il peine depuis toujours à reconstituer.


Le destin facétieux n’aurait-il pas mis Marie sur sa route pour l’aider à faire ce nécessaire travail de mémoire ?

Je crois au destin. Les êtres humains sont reliés les uns aux autres. Nous sommes à la fois responsables et solidaires de nos proches et moins proches, rien n'est innocent. Marie a besoin de Jacques et lui a besoin d'elle. Chacun va sauver l'autre.


Votre héroïne est une magnifique figure de femme volontaire et courageuse, habitée par la musique, passionnée par son métier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Marie ? Vous êtes-vous inspirée d’une cantatrice existante pour dessiner ce beau portrait ?

Non, je ne me suis pas inspirée d'une cantatrice existante. Marie a trouvé sa place car une famille l'a aimée et accueillie, une famille a transmis l'amour du beau. Je crois que la beauté conduit à la spiritualité, peut rendre meilleur. Marie a grandi grâce à Justine sa "deuxième maman" qui lui a donné l'amour du chant et c'est le chant qui va guider Jacques encore perdu dans son passé. Tout être humain a besoin de beauté, de s'élever…


À la faveur de cet accident ferroviaire auquel il assiste en tant que sauveteur, Jacques va renouer avec un passé très douloureux que son inconscient a voulu oublier. Ce passé effacé de la mémoire a pesé de tout son poids sur la façon dont il a conduit son existence. Croyez-vous que l’on puisse se construire en occultant son histoire ? À vos yeux, ce que l’on a été conditionne-t-il ce que l’on est ?

On ne peut pas se construire en occultant son histoire. Il faut être au clair avec soi-même et c'est ce que Marie va permettre dans cette relation étrange et curieuse qui s'installe le temps qu'arrivent les secours. Elle aussi apprend à se mettre en retrait. Il faut sauver Suzette. Elle va aller au bout de ses forces pour donner la vie, la préserver. D'une certaine manière elle veut rendre ce qu'elle a reçu.


Chacun à leur façon, Marie et Jacques vont finir par trouver l’amour dans leur vie après avoir dépassé une terrible épreuve. Croyez-vous que l’amour doive parfois se gagner sur une forme d’adversité ? Est-il plus fort quand il est le fruit d’une lutte contre les événements ?

Ah oui, l'un et l'autre vont lutter de toutes leurs forces pour arracher la vie à la douleur, à l'absence. Leur reconstruction passe par cette lutte, mais je crois qu'il en est ainsi de tout un chacun. La vie est à ce prix, mais quel bonheur ensuite.


L’Amour, non plus humain, mais transcendant, me semble également présent en filigrane dans votre roman. Au fond, le destin de Marie, c’est d’être une « passeuse ». Sa vie est un pont que Jacques emprunte pour retrouver la sienne. Cette rencontre accidentelle entre vos deux héros est-elle un hasard ? Vous-même, croyez-vous au hasard ? N’y aurait-il pas un sens à toute chose ?

Vous avez parfaitement senti ce que j'ai voulu dire. Marie est une passeuse. Elle redonne à Jacques ce qu'il avait cru perdre. Le sens et la confiance. Est-ce un hasard ? Mais qu'est-ce que le hasard ? Tous deux cueillent le sens de toute vie. Sans sens, comment vivre ? Oui, il s'agit bien de transcendance. En sauvant l'autre, chacun se sauve et entre dans cette lumière qu'inconsciemment tout être cherche.


Propos recueillis par Cécilia Dutter (septembre 2015)

© Photo : Frédéric Marvaux/Opale


Élise Fischer, L’Étrange destin de Marie, Calmann-Lévy, août 2015, 352 pages, 20,50 €

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1 commentaire

Votre interview m'a donné envie d'en savoir plus sur l'écrivain!:) 


Merci! :)