Interview. Ève de Castro : Un regard différent sur la fin de Louis XIV


La romancière à succès, spécialiste du XVIIe siècle, livre un récit sensible et attachant sur les derniers jours du roi Soleil alors qu’il quitte son personnage du plus grand des monarques pour devenir un homme confronté à sa mort. Rencontre.

 

Pourquoi avoir choisi la forme du journal intime, de la confession, pour raconter les quinze derniers jours de la vie du Roi ?

Je savais qu’à l’occasion du tricentenaire de sa mort, il y aurait beaucoup de biographies, d’ouvrages sur Versailles et la cour. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Dans l’Histoire, ce sont les personnages qui m’intéressent, les puissants comme les humbles. J’ai eu envie de m’attacher à ces jours dont Louis XIV sait qu’ils lui sont comptés. Derrière le personnage au masque d’Apollon, il y a un homme qui se sait malade. Il est progressivement abandonné de tous à part ses proches et va se préparer à mourir avec courage et lucidité.

 

L’homme que vous décrivez apparaît incroyablement vivant…

Oui, le Roi était un boulimique de vie. Il mangeait comme huit, aimait les femmes, la chasse, le sport. La danse qu’il a pratiquée comme un danseur étoile a été une de ses grandes passions. Mais bien avant ses ânes de médecins il comprend qu’il est atteint de gangrène, c’est-à-dire qu’il pourrit sur place, une mort atroce comme son ami Lully. Le 1er septembre 1715, il va mourir incarnant la grandeur de la France après avoir caché son calvaire.

 

Votre récit est très précis sur ses maux physiques. Comment avez-vous travaillé ?

 Parler du corps du roi était essentiel. Derrière les ors et les dentelles de Versailles, il y a la réalité, les puces, la crasse et les maladies, parfois bénignes comme une angine, qui peuvent vous envoyer au cimetière… J’ai lu les journaux des médecins, tous impuissants devant le mal, qui avaient diagnostiqué une sciatique, compulsé aussi les lettres de la Princesse Palatine, de Madame de Maintenon, les correspondances très précises des ambassadeurs sur la situation… J’ai aussi inséré dans le récit des bouts de journaux de l’époque.

 

À côté de la souffrance que Louis XIV endure, on sent aussi une acceptation de ce qui va arriver, presque un état de grâce. 

Louis XIV a tenu dix-sept jours. En numérologie, qui était très à la mode à cette poque, dix-sept jours est le nombre de pas nécessaire pour passer du corps à l’esprit. Louis XIV se prépare à mourir, il appelle déjà son fils qui n’a que cinq ans. Roi, il se souvient des jours heureux, des femmes qu’il a aimées, des amis disparus comme Lully et Le Nôtre, dialogue avec un Dieu qu’il a beaucoup défié dans sa vie personnelle. Il se dépouille peu à peu de tous les masques qu’il a porté dans sa vie pour atteindre l’épure.

 

Vous vivez depuis 25 ans avec Louis XIV. Finalement, l’aimez-vous ?

Il a été un père effroyable et a rendu ses femmes malheureuses. Le bilan de son règne n’est pas sans tache, mais son humilité face à la mort qui vient est remarquable 

Cette simplicité, ce dépassement de soi, cette grandeur ultime m’ont touché. J’apprends toujours sur lui. Peut-être écrirai-je un jour sur ses relations avec son fils ou avec son frère…

 

Les Français aiment les romans historiques. Pourquoi selon vous à une époque ou l’histoire est moins enseignée à l’école ?

A l’expression de roman historique, je préfère celle de « roman dans l’Histoire » plus juste selon moi. Dans l’Histoire, je m’intéresse aux êtres, pas seulement aux faits et j’essaie de donner vie à ces personnages en proposant un voyage dans l’époque ou je les situe. Le roman dans l’Histoire, c’est l’inverse du nombrilisme, du narcissisme, c’est une extraordinaire façon de voyager sans effort, de rencontrer des personnages souvent plus intéressants que ceux qu’on pourrait inventer. Les Français ne s’y trompent pas et aiment découvrir, apprendre, de manière ludique.

 

Quels sont vos projets ?

 J’ai une seconde vie, très différente de la première : depuis l’an dernier, je me suis installée à mi-temps à Detroit, aux États-Unis. Une ville qui après une crise terrible renait de ses cendres et qui ambitionne de devenir le Berlin américain, avec des artistes, des expositions, une envie d’innover et de créer. J’aimerai y ouvrir un french café avec de bons produits de chez nous. Et j’y vois déjà deux sujets pour des livres, l’un historique, l’autre contemporain. De Louis XIV à l’Amérique, je continuer à voyager !

 

Propos recueillis par Ariane Bois (novembre 2015)

Photo © Yannick Coupannec 

 

Ève de Castro, Nous, Louis, Roi, L’iconoclaste, août 2015, 217 pages, 18 €

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2 commentaires

J'aime beaucoup l'idée de rédiger sous la forme d'un journal intime, ça change de ce qui a déjà pu être fait.

Tout à fait d'accord !! Un beau cadeau de Noël pour mon père féru d'histoire de France !