Interview. Claire Julliard, Les Hors-Venus : Enfermements


Journaliste littéraire à l’Obs, Claire Julliard est auteur de livres pour adolescents et d’une biographie de Boris Vian (Folio). Après L’Oie sur un lac gelé, recueil de nouvelles paru chez Léo Scheer, Les Hors-Venus est son premier roman. Mélanie, 15 ans, vient de s’échapper des griffes du gourou d’une secte dans laquelle elle vit avec sa mère depuis l’enfance. Rattrapée par les hommes de ce manipulateur, elle se rebelle et se ligue avec un détective infiltré et le gardien de la communauté. Le trio réussit à fuir. Mais les trois compères devront changer d’identité. Après une longue route, ils se réfugient sur une île déserte. Isolés, se croient libres, mais Mélanie va découvrir que l’île s’avère une autre forme de prison. Saura-t-elle se libérer, réapprendre l’autonomie, à être heureuse ? Une métaphore de ces sectes qui cherchent à enrôler les jeunes, celles d’ici, celles d’ailleurs. Écrit au présent, un roman où l’on est au jour le jour avec une héroïne touchante. Claire Julliard y dénonce l’emprise des sectes au Nouveau-Mexique où des jeunes filles sont violées, mais, plus largement, les dérives sectaires et l’instrumentalisation de grandes religions. Un livre puissant. Palpitant.

 

Pourquoi ce titre, Les Hors-Venus ?

Je cherchais un terme qui exprime l’idée de personnes venues de nulle part. Le terme est emprunté à un poème de Supervielle que j’adore « Le hors-venu ». Mais le terme existe aussi dans le parler normand.

 

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Tout est parti de l’image que j’avais en tête d’une jeune fille épuisée, titubant dans le désert. À partir de là, j’ai déroulé un fil narratif. Je l’ai imaginée fuyant l’arbitraire, l’oppression extrême dont la secte en est le symbole. Comme elles pullulent au Nouveau-Mexique, j’ai situé le début du livre dans cette région.

 

D’où vient votre intérêt pour les sectes ? Vous êtes-vous documentée ?

Je me suis documentée au fur et à mesure. Je me suis notamment inspirée du procès d’un gourou du Nouveau-Mexique. Cet homme dangereux a réussi à échapper aux maillons de la justice en faisant valoir un vice de procédure. Je m’inquiète du sort des enfants élevés dans ces structures. En 2008, la police a évacué un ranch au Texas, une secte y abritait plus de quatre cents enfants. La plupart des fillettes y avaient été abusées. L’année dernière, les gendarmes ont évacué une secte dans le Béarn où les enfants subissaient des violences physiques. Ce genre d’affaire éclate chaque année.

 

Parlez-nous de Mélanie, 15 ans, de son caractère, de sa vie avec sa mère dans cette secte.

Élevée dans le ranch qui abrite l’Église de la Sainte lumière cosmique, Mélanie ne connaît rien du monde. Elle a grandi parmi les adeptes, auprès d’une mère qu’elle appelait sa sœur et qui vivait sous l’emprise de Jordan, le gourou dont elle était l’une des femmes.

 

Pourquoi sa mère s’est-elle réfugiée auprès de ce gourou ?

Dans l’emprise sectaire, il y a toujours un phénomène de sujétion psychique. L’adepte est séduit par le fatras idéologique que lui sert un être séducteur qui lui fait perdre ses repères. Mylène, la mère de Mélanie, a assisté à une conférence de Jordan qui l’a électrisée. Elle l’a suivi de son plein gré, happée par son aura, son discours, sa promesse d’une vie plus belle. Elle était alors totalement perdue. Le voyage aux États-Unis qu’elle avait entrepris avec trois amis tournait au fiasco, elle était en plein désarroi amoureux.

 

Qu’est-ce qui incite la jeune fille à s’échapper ?

Cette adolescente possède une forte pulsion de survie. Elle a besoin de voir ailleurs, elle n’en peut plus. Elle saisit une occasion pour fuir. Mais elle ne sait où aller. Elle est donc reprise par les hommes de main du gourou. La véritable échappée se fera plus tard avec deux comparses, Mike, le coach du Maître et Harlan le gardien. Deux personnages un peu à l’écart de la communauté dont on découvre le passé au fil des pages.

 

Pourquoi le trio de fugitifs n’arrive-t-il pas à être libre ?

Pour fuir un homme dangereux en relation avec la mafia, les trois héros aidés par la police chargée de la protection des témoins (le WIITSEC) doivent changer d’identité. Dans ce roman « d’évasion », les héros sont confrontés aux problèmes posés par la technologie liberticide qui permet de suivre les individus partout où ils sont. À cause de leur situation particulière, ces personnages qui n’ont nulle part où aller se réfugient sur une île déserte, ou presque. C’est a priori idyllique mais de nouveau Mélanie se sent enfermée

 

Avez-vous voulu faire une analogie avec la radicalisation de beaucoup de jeunes ? Ce retour vers le religieux ?

Oui, les dérives sectaires et l’instrumentalisation de grandes religions sont dramatiquement à l’ordre du jour. On voit actuellement des adolescents tout quitter pour ce monde meilleur qu’on leur vante et dont ils seront des héros. La technologie accélère le phénomène et permet de déjouer la surveillance de ces dérives. Sous couvert de retour vers le religieux, on assiste à un retour à l’esclavage consenti. Il faut lire le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Il l’a écrit à dix-huit ans, c’est un chef d’œuvre. Il rappelle notamment que « les tyrans se couvraient volontiers du manteau de la religion et s’affublaient des oripeaux de la divinité pour cautionner leur méchante vie ».

 

Comment avez-vous travaillé ? D’un jet, à partir d’un synopsis, avez-vous beaucoup corrigé ?

Comme pour mes romans jeunesse et tous les livres que j’écris (comme nègre notamment), j’effectue un premier jet assez rapide, avec des interruptions toutefois car il faut bien réfléchir à la cohérence de l’intrigue et aux personnages. Puis je retravaille patiemment. C’est la partie longue et aride. Cela n’en finit pas. Seul le bon à tirer de l’éditeur y met un terme.

 

Vos romans préférés, d’auteurs morts et vivants ?

Je suis depuis l’âge de douze ou treize ans absolument fascinée par Balzac. Il a tout exprimé, tout écrit, tout compris. Donc comme je n’aime pas choisir, je choisis toute la Comédie Humaine. Dickens est l’autre passion de ma vie. Dans les romans du XXe, je citerais L’Attrape-cœur de Salinger. Sa lecture a été pour moi un déclic. Mais je suis désolée de voir les traductions qui circulent. Elles sont médiocres et le rendent ennuyeux ou vulgaire. La seule valable est celle de Jean-Baptiste Rossi, autre nom de plume de Japrisot.

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson (mars 2016)

© Photo : Catherine Gugelmann

 

Claire Julliard, Les Hors-Venus, Belfond, février 2016, 272 pages, 18 €

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