"La guerre de Corée", un conflit méconnu et pourtant déterminant

Ce livre, il faut l’avouer, vient combler un vide quasi total de l’historiographie en France. Peu de  livres sur cette guerre écrits par un chercheur en trente ans, excepté le travail de  Patrick Souty en 2002  ou éventuellement L’histoire de la Corée de Pascal Daillet-Burgeon l’année dernière (si le livre n’est pas consacré à la seule guerre de Corée, l’auteur aborde le sujet sur quasiment la moitié de l’ouvrage). Qui sait par exemple qu’un bataillon français s’est battu en Corée du sud de la fin 1950 jusqu’à l’armistice de Panmunjom ? Comme beaucoup de vétérans, ils sont revenus avec des traumatismes et des séquelles profondes car la guerre de Corée fut particulièrement violente pour les combattants et les populations civiles.


Des origines méconnues


L’auteur commence par un rappel bienvenu sur l’histoire coréenne. Ce petit Etat a longtemps subi l’influence chinoise tout en manifestant très tôt son indépendance : la période moderne abonde en conflits récurrents avec l’empire du milieu. Cependant à la fin du XIXe siècle, il devient colonie de l’empire du Japon. L’occupation sera particulièrement rude envers les populations soumises à la domination de colons japonais. Kim Il Sung commence ainsi sa carrière comme maquisard tandis que le futur dictateur sud-coréen, Syngman Rhee débute quant à lui une carrière d’opposant en exil, en Europe et en Amérique.


A la fin de la seconde guerre mondiale, les Russes occupent le nord de la Corée, en s’appuyant sur des comités populaires tandis que les américains débarquent au sud (le 38ème parallèle servant de ligne de démarcation). Une tentative de mise sous tutelle internationale du pays échoue. Comme l’Allemagne, quand la guerre froide s’installe, la Corée devient un des points de contact les plus tendus entre les deux blocs. Au sud, Syngman Rhee instaure une dictature conservatrice tandis que le Nord voit se développer une république populaire, sous assistance et influence soviétique et chinoise.


Un conflit de la guerre froide


L’intervention américaine est décidée, chose rare, sous mandat de l’ONU, après le constat que l’agresseur est clairement nord-coréen (les Russes sont curieusement absents lors du vote). Si on analyse l’ensemble des opérations militaires, la Corée peut être vue à la fois comme une guerre de mouvement et une guerre d’usure (sans oublier le rôle des partisans). 1950 se caractérise par l’offensive, d’abord nord-coréenne (juin-juillet1950) puis américaine (août-novembre 1950) et enfin chinoise (novembre 1950-janvier 1951). Ensuite, le front se stabilise et c’est une guerre de positions qui commence, usante pour les troupes, qui n’est pas sans rappeler la 1ère guerre mondiale, et plus particulièrement la bataille de Verdun. C’est aussi le dernier coup d’éclat de MacArthur avec le débarquement d’Inchon qui prend à revers les Nord-coréens, avant qu’il ne soit relevé de son commandement  par Truman, après une ultime sortie réclamant un bombardement nucléaire de la Chine. Plus généralement, la guerre de Corée sert de prétexte au réarmement américain et au renforcement du complexe militaro-industriel. C’est aussi une guerre qui viole les règles du droit international : les Nord-coréens n’hésitent pas à massacrer les prisonniers américains (au grand dam des Chinois qui veulent les garder comme  moyen de pression sur l’opinion américaine) et les Américains quant à eux méprisent les civils, bombardés par l’aviation au prétexte qu’ils encombrent les voies de communication.


Permanence des erreurs américaines


L’auteur remarque au milieu de son ouvrage que la suprématie aérienne des Etats-Unis les induit en erreur de façon récurrente. Depuis 1943, les américains pensent que des bombardements massifs ont un impact décisif sur les ennemis qu’ils combattent. Or, qu’il s’agisse des Allemands, des Nord-coréens ou des Vietnamiens, force est de constater que le résultat est toujours le contraire de ce qui était attendu. En effet, les bombardements ralentissent, contrarient, affaiblissent l’ennemi mais ne remplacent en aucun cas l’intervention des troupes au sol. Or, l’infanterie américaine, en 1950, n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut à la fin de la seconde guerre mondiale et des débandades se produisent lors des premiers engagements. Il faut l’énergie d’un chef comme MacArthur et l’amalgame avec des divisions aguerries pour renverser une situation pratiquement désespérée. Enfin, si l’armée américaine finit par convaincre dans des batailles rangées, elle est à la peine face aux partisans que Kim Il Sung a laissés derrière lui après son incursion dans le Sud.


Sans intervention américaine, la Corée du Sud n’aurait pas tenu plus de quelques semaines. Si l’intervention alliée sauve le sud de la péninsule d’un régime totalitaire qui, à l’heure actuelle, n’a pas fini de terroriser et d’affamer les populations, et signifie à l’URSS et à la Chine que les Etats-Unis prennent la tête du bloc occidental,  les conceptions stratégiques qui la sous-tendent portent les germes de la défaite au Vietnam. Ivan Cadeau nous laisse au final un bien bel ouvrage sur ce conflit méconnu en France. A découvrir.

 

Sylvain Bonnet


Ivan Cadeau, La guerre de Corée, Perrin, septembre 2013, 370 pages, 24 €

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