J.R.R. Tolkien traduit par Daniel Lauzon, où la nouvelle naissance du Hobbit

120 ans. Si Tolkien vivait encore, s’il était un elfe, un magicien ou un descendant d’Aragorn, tel serait son âge. Voilà en effet 120 ans que le Seigneur des Mythes est né dans l’Etat libre d’Orange (aujourd’hui Afrique du Sud). Mais, hélas diront certains, l’homme est mort en 1973.

 

Pour autant, son œuvre n’est pas morte avec lui. Il a nommé son fils Christopher Tolkien exécuteur littéraire. Pour faire simple, il avait pour fonction de publier ce qui pouvait l’être dans les "notes" de l’écrivain. Et il le fit. Les The History of Middle-earth, les HoMe comme l’ont dit dans le milieu, en sont une des preuves. Tout comme le Silmarilion, cet ouvrage que d’aucuns disent dur à lire, cette "bible" inconnue, cette "compilation d’histoires poussiéreuses". Ces petites attaques régulières sont sans réel fondement et se retrouvent souvent dans la bouche de lecteurs n’acceptant pas de donner un peu de leur personne pour lire un ouvrage.

Mais il y a parfois une petite part de vérité. Tolkien, en français, est parfois dur à lire et ce, quel que soit l’ouvrage. Car s’il a en anglais un style compliqué, la traduction est – malheureusement – parfois maladroite (1). Et tous l’ont compris : voilà pourquoi les éditions Bourgois avec M. Vincent Ferré, responsable des traductions de Tolkien chez l'éditeur, ont décidé de retraduire The Hobbit.

 

La première fois que la langue de Molière découvrit cet ouvrage, c’était en 1969 et était dû au travail de Francis Ledoux. Maintenant, sous la plume de Daniel Lauzon, l’ouvrage connaît une nouvelle jeunesse. Qui plus est, il fut décidé de traduire aussi les annotations de Douglas A. Anderson. C’est donc, aujourd’hui le 6 septembre 2012, un ouvrage complet et assez beau qui vous est proposé. Sur les deux colonnes centrales se trouve le texte dans sa nouvelle traduction, alors que sur les deux extérieures vous trouverez les annotations de Douglas, des illustrations, etc. En bref, l’outil parfait pour très bien connaître les aventures de Bilbo(n), mais aussi la vie de l’auteur.

Car en effet, Douglas n’a pas limité ses commentaires au texte simple. C’est un véritable travail sur l’auteur et sa vie, sur sa culture de philologue, sur l’origine des noms et des expressions qu’il a réalisé. ”On considère généralement que le but de l’annotation est d’éclairer un texte, mais j’ai tenté aussi de mettre en lumière la vie de Tolkien, ses amis et ses associés, ses intérêts littéraires ainsi que ses autres écrits, de manières à brosser un portrait complet. Il s’ensuit que certaines annotations peuvent sembler s’égarer, perdant tout rapport immédiat avec le texte, mais ces courtes digressions sont, à mon avis, tout aussi appropriées qu’éclairantes (Préface de la deuxième édition [ndlr : donc de la présente édition en français]).

Notons de plus que vous trouverez des annales inédites (enfin en partie) des plus captivantes.

 

La traduction de Lauzon est, quant à elle, intéressante. Ainsi la première phrase célèbre de par le monde était chez Ledoux ”Dans un trou vivait un hobbit”. Elle devient chez Lauzon ”Au fond d’un trou vivait un hobbit”. L’anglais original est ”In a hole in the ground there lived a hobbit”. Cependant personne ne s’accorde sur une traduction unique depuis que l’idée de retraduire Tolkien a été lancée. Douglas profite d’ailleurs de la note sur cette phrase pour les donner en plusieurs langues. Ainsi nous avons donc en italien “In una caverna sotto terra viveva uno Hobbit”, en allemand “In einer Höhle in der Erde, da lebte ein Hobbit” et en hongrois “Volt egiszer egy földbe vàjt lyuk, abban élt egy babó.

Un texte, de multiples traductions ? Tant mieux dirons-nous : il y a là plusieurs portes d’entrée dans un monde, chacune étant valable une fois qu’argumentée. L’occasion de discuter sereinement, agréablement non ? Mais, hélas, trois fois hélas, il y a aussi et surtout dans cette traduction une source de conflit. Un débat houleux divisant les communautés, dressant le père contre le fils, l’élève contre le maître : la nomenclature.

Car traduire les noms chez Tolkien revient à faire un réel travail d’étymologie pour tenter de retrouver la démarche de l’auteur. Les noms ne sont que très très très rarement le fruit du hasard. Et les traducteurs l’ont compris. Cependant plusieurs tournures sont toujours possibles. Et au final, nous trouvons pour « Rivendel » en anglais, "Fondcombe" chez Ledoux et "Fendeval" chez Lauzon. Rajoutez à cela que si les deux traductions s’opposent, il est un peu dur de savoir ce qu’il en sera pour les films à venir. Bref, dans les prochaines années, si vous lisez Bilbo le Hobbit en poche, vous aurez des noms différents du livre Le Hobbit chez Bourgois. A la condition que ce livre de chez Bourgois soit récent et date de 2012, sinon vous retomberez sur le texte du poche mais en grand format. Puis les films suivront-ils l’ancienne nomenclature, comme celle du Seigneur des Anneaux ou s’adapteront-ils à la nouvelle version française ? Vous commencez à comprendre le problème ? Vous n’en avez que la surface, mais nous n’entrerons pas plus dans les détails…

Pour faire simple, si vous avez découvert le livre avant 2012, vous serez un peu perturbés, pour certains choqués, quoiqu’il en soit déboussolés. Pour les autres, vous êtes "des jeunes" non ?

 

Au final, tous se doivent d’acquérir cet ouvrage, et pour plusieurs raison : si le film sort dans quelques mois, il est temps de lire le livre dont il est tiré, si vous avez découvert les aventures de Bilbo(n), il est temps de recommencer, si votre enfant ne connaît point cette histoire vous aurez de quoi enchanter nombre de ses nuits, etc.

Je ne saurai que trop conseiller à tout le monde de ne pas se battre et s’écorcher pour défendre une traduction. Profitons du fait que, comme lorsque les aèdes chantent un poème, plusieurs versions coexistent et nous rendent heureux. La poésie de Tolkien le vaut bien !


Pierre Chaffard-Luçon

 

J.R.R. Tolkien, Le Hobbit annoté par Douglas, traduction de Daniel Lauzon, Christian Bourgois, septembre 2012, 463 p.-, 25,00 €

 

(1): Il convient cependant de noter que le travail de Francis Ledoux reste, à nos yeux, superbe ! En effet, l’éditeur Bourgois était en train de mettre la clé sous la porte lorsqu’il décida de publier le Seigneur des Anneaux. Cet ouvrage le "sauva", mais les délais pour traduire l’œuvre ne furent pas les meilleurs. D’où, force est de reconnaître qu’avec tous les moyens qu’il avait à sa disposition, Ledoux réalisa à l’époque un travail superbe… Qu’il nous revient maintenant de perfectionner.

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PCL

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