Jacques Drillon, Six érotiques plus un, sensualité et volupté

Amateurs d’érotisme trash, de sensations fortes et d’écriture blanche, passez votre chemin ! Dans les pages du livre érotique de Jacques Drillon tout n’est que désordre murmuré, souffle voluptueux, mots crus bien léchés, académisme élégant à l’image de la couverture de cette petite collection de chez Gallimard.
 
Bref, l’écriture est très littéraire, épouvantablement soignée et classique diront certains, et pourtant s’il y manque sans doute un je ne sais quoi de jubilatoire par excès de soin porté aux mots et au style, les six nouvelles ne sont pas poussiéreuses, loin de là. La charge érotique de ces textes est assez puissante.
 
Alors que je me penchais sur la vie de Jacques Drillon après la lecture de ce livre, je me disais qu’il n’est pas étonnant que cet homme ait eu envie de publier ce livre licencieux à force de croiser les mots, d’écrire sur la musique, de jouer de la voix et que sais-je encore… La sensualité de ses domaines de prédilection ne laisse aucun doute.
 
Six érotiques plus un est en fin de compte un bel exercice de style pour illustrer son amour de la langue, des mots et de la musique. Et qu’est-ce que l’érotisme sinon une fragile alchimie de tous ces ingrédients ?
 
L’écrivain se livre à une très excitante masturbation intellectuelle en rédigeant ces six scènes de sexe qui se déroulent toutes dans une pièce différente, avec passage obligatoire dans la cuisine après les réjouissances charnelles pour nous remettre de nos émotions et nous requinquer. Les recettes qu’il nous donne, toutes plus loufoques les unes que les autres, sont encore prétexte à jouer et à jouir des mots.
 
Jacques Drillon met en exergue une phrase de Lacan : « Si vous avez compris, vous avez sûrement tort. » Et c’est exactement ce que disent ces nouvelles, les personnages mis en scène ont tous des désirs érotiques, comme tout le monde, n’est-ce pas ? Je sais, je sais, toujours la même chose, a-t-on envie de soupirer. Eh bien non ! On ne sait pas, parce que chacun cherche son chat… Et personne ne se caresse de la même façon, halète pareillement, le rauque du cri de jouissance n’est jamais le même, ni même le poids des silences et encore moins identiques sont les odeurs.
 
Alors on se chuchote sans cesse des trucs obscènes dans ces pages, on se regarde, se masturbe, se raconte, on se tient à distance pour mieux se rapprocher, on y bande dans des couloirs, on y mouille près du clavecin, on télescope l’art et la manière, la délicatesse et l’indécence et l’élève tutoie la prof quand la prof le vouvoie, et l’Anglaise jouit fort dans une chambre et excite à sa porte un branleur et une branleuse muets, mais pas sourds qui se regardent se donner du plaisir.
 
Des gravures participent à ce charmant carambolage, des reproductions anciennes de bon goût ne cachent rien des verges brandies et des culs habités. L’imagination est célébrée tout comme les cinq sens sans cesse frottés pour faire jaillir l’étincelle érotique.
 
C’est réussi, mais le plaisir pour le lecteur est beaucoup plus littéraire que charnel. Après tout, c’est sans doute ce que voulait offrir l’auteur aux voyeurs de ses joyeux travaux érotiques tirés à quatre épingles.

 

Anne Bert

 

Jacques Drillon, Six érotiques plus un, Gallimard, « Le promeneur », avril 2012, 186 pages, 16,90 € 

5 commentaires

Rares sont les romans érotiques qui relèvent aussi de la littérature, comme s'il fallait faire "trash" pour appartenir au genre. Merci monsieur Drillon pour cette gourmandise littéraire.

C'est bien Jacques Drillon le spécialiste de stylistique et verbocruciste émérite ?

oui Loïc, c'est bien lui ! 

@ Juliette : oui, justement,  je ne pense pas qu'il faille  nécessairement  faire trash  mais la surenchère dans le genre est de mode, alors je préviens que Jacques Drillon, justement,  écrit le sexe pour faire frétiller les belles lettres, avant tout.  Cela  évitera aux lecteurs qui  ne cherchent qu'une succession  de scènes hard et masturbatoires, de se tromper...Quoiqu'ils pourraient être séduits par cette façon de conter le désir et le plaisir...Ceci dit,  j'ajouterai que tant que l'intérêt littéraire  du texte existe et que  l'érotisme subsiste, que ce soit trash ou pas est secondaire...La notion d'esthétique ou d'appréciation  en matière d'érotisme est toujours subjective, en rapport avec notre propre univers sexuel.

Je vais relire les essais de Drillon d'une main, pour voir si ça fait pareil...

Il y a l'esthétique, certes, mais ce qui compte aussi c'est l'élégance, un art de dire, de suggérer  d'amener son sujet, même avec des mots crus. Un talent rare.