B.D. comme Black Dahlia - Entretien avec le scénariste de bande dessinée Matz

Ces derniers temps, les bédés étaient plutôt centrifuges : Batman, Superman et bien d’autres désertaient leurs cases de papier pour envahir le grand écran. Mais voici un cas de figure plus complexe : après avoir été adapté au cinéma en 2006 par Brian De Palma, le roman de James Ellroy le Dahlia noir « repousse » aujourd’hui sous la forme d’une bande dessinée.


L’océan Atlantique peut se traverser dans les deux sens et sur des « véhicules » différents. Il y a quelques mois, Alexis Nolent, alias Matz, avait vu la bande dessinée Du plomb dans la tête (dont il avait imaginé le scénario) se métamorphoser en un film réalisé par Walter Hill et interprété par Sylvester Stallone. Aujourd’hui, avec l’aide de David Fincher (réalisateur des films Seven et The Social Network) et du dessinateur Miles Hyman, il vient de tirer une bande dessinée du roman de James Ellroy le Dahlia noir. Avec la bénédiction d’Ellroy lui-même, puisque celui-ci a cautionné le scénario tiré de son roman.

Reste évidemment une question : les fans d’Ellroy ne se montreront-ils pas plus ellroyalistes que l’Ellroy ? Verront-ils dans cette opération « trans-genre » un hommage ou un outrage ? A vrai dire, il y avait déjà eu deux adaptations en bandes dessinées de récits d’Ellroy, mais elles n’avaient pas fait beaucoup de bruit. Celle-ci, inspirée de son roman le plus célèbre, ne devrait pas rester dans l’ombre. Si néo-noire soit-elle. 

Bien sûr, votre adaptation en bande dessinée du Dahlia noir va très vite reléguer au second plan la sortie d’Astérix chez les Pictes ?

Matz <> Cela ne fait aucun doute. Plus réalistement, j’espère qu’elle attirera l’attention des lecteurs et trouvera un public nombreux… Wait and see

On commence à comprendre en France qu’un livre est le plus souvent le résultat d’un travail collectif, mais on trouve au « générique » de celui-ci quatre noms différents, ce qui lui donne des allures de film hollywoodien. Quel a été le « producteur » ? qui a assuré l’harmonie de l’entreprise ? 

La cheville ouvrière de cet album n’apparaît pas sur la couverture : c’est François Guérif. C’est lui qui a sollicité Ellroy et mis au point la façon dont les choses se passeraient. C’est lui qui m’a demandé de me charger de l’adaptation, parce qu’il avait aimé le travail que j’avais fait sur Nuit de Fureur de Jim Thompson, et, ensemble, nous avons décidé de solliciter Miles Hyman. Où l’on voit que, comme à Hollywood, il ne faut pas forcément se fier aux génériques. 

De Palma avait commis une adaptation cinématographique de Black Dahlia, dont tout le monde dit pis que pendre. Qu’en pense Ellroy ? Qu’en pensez-vous vous-même ? 

Je ne sais pas exactement ce qu’en pense Ellroy. En général, il a la dent assez dure. Moi, en tout cas, je ne l’ai pas aimée du tout : je trouve qu’on n’y retrouve pas grand-chose du roman, et surtout de la ville de Los Angeles, de sa lumière, de son atmosphère ; or, la ville est le personnage principal du film. Supprimer le passage mexicain était à mon avis un très mauvais choix. De toute façon, pour être franc, je suis assez allergique aux films de Brian De Palma. Je les ai toujours trouvés sans finesse, lourds et pénibles, mauvais. Je trouve les gens extraordinairement indulgents avec lui, puisque, qu’on le veuille ou non, il a produit un nombre de navets prétentieux impressionnant.   

Fincher a collaboré avec vous sur l’adaptation de Black Dahlia, mais vous planchez depuis longtemps avec lui sur une éventuelle adaptation cinématographique de votre Tueur

Je connais David Fincher depuis plusieurs années — depuis l’époque où Paramount avait pris une options sur les droits cinématographique de ma série le Tueur. David Fincher est un vrai amateur de bd. Au fil de nos discussions, je lui ai parlé du projet d’adaptation du Dahlia noir, et il m’a dit qu’il avait failli faire le film. Ce devait être un grand film avec Tom Cruise, mais il ne s’est pas fait. Toujours est-il que David Fincher avait déjà beaucoup réfléchi à la question de l’adaptation, et je dois dire qu’il a eu une idée tout à fait décisive et absolument cruciale pour l’album, celle de la « règle » qui a présidé au découpage, c’est-à-dire cette idée de faire de manière très régulière, presque obsédante, trois stries par page, d’une case chacune. Bien sûr, il y a des variations, mais du moins c’est le rythme de l’album. Et à partir du moment où il m’a dit cela, j’ai vu qu’il était possible de s’en sortir et comment. Ensuite, nous avons discuté de certaines séquences particulièrement difficiles à synthétiser. Il a donc eu un rôle très important, et sans lui, cet album ne serait pas ce qu’il est. Entre lui et moi, tout va bien. Je ne désespère pas pour le Tueur. J’y travaille. 


La transposition d’un genre à un autre n’est pas chose nouvelle, puisque Conan Doyle, Proust et Oscar Wilde sont passés en bd. Mais ces transmutations peuvent prétendre élargir le marché. Il semblerait a priori que les lecteurs du Dahlia noir, le roman, et ceux du Dahlia noir, la bd, doivent être à peu près les mêmes…

Je n’en suis pas si sûr. L’idéal serait que les lecteurs du roman s’intéressent à la bd et à la lecture que l’album en propose, et que les lecteurs de bd aillent vers l’album et — pourquoi pas ? — ensuite vers le roman. Certains amateurs de polar s’intéressent aux romans, aux films, aux bd, et je pense que ceux-là s’intéresseront à cette adaptation, comme ils s’intéressent déjà à cette collection. 

« S'affirmant comme ‟conservateur” et ‟réactionnaire”, il dépeint dans son œuvre un monde particulièrement pessimiste et corrompu, dans lequel perce néanmoins la notion de rédemption… » dixit Wiki sur Ellroy. Vous êtes, vous aussi, conservateur et réactionnaire ?

Franchement, je ne suis pas du tout sûr qu’Ellroy soit si conservateur et si réactionnaire. Je crois qu’il est très important de ne pas commettre l’erreur qui consiste à confondre un auteur avec ses personnages, avec ce qu’ils disent, la manière dont ils parlent, ou ce qu’ils font. Je crois qu’Ellroy est un homme bien trop intelligent et un trop bon écrivain pour être catalogué et cantonné à une seule position politique. S’il a un personnage de flic corrompu et raciste comme Lee dans le Dahlia, alors ce personnage parlera comme il doit parler. Cela ne veut pas dire qu’Ellroy partage forcément ses idées. Je dirais que la même chose s’applique pour moi avec le Tueur. Parfois je suis d’accord avec lui, parfois non. D’ailleurs, parfois j’ai des idées réactionnaires, et parfois non. Quand je suis avec des gens de gauche, j’ai une curieuse tendance à devenir très réactionnaire, et vice versa. En fait, je crois que je ne crois pas en grand-chose, et, surtout, je me méfie des idées reçues et des hypocrisies. 

Dans le grand univers du multimedia auquel vous contribuez si généreusement, établissez-vous une hiérarchie personnelle ? Si votre bibliothèque brûle, sauvez-vous en priorité le roman d’Ellroy ou votre adaptation ? votre Plomb dans la tête ou le dvd du film de Hill/Stallone ?

Si ma bibliothèque brûlait, au risque de passer encore une fois pour un odieux réactionnaire, je crois que je sauverais une édition ancienne et rare, et non quelque chose que je peux racheter demain à la librairie en bas de chez moi. Mais comme mon édition du roman du Dahlia est dédicacée par Ellroy, sur la liste, c’est probablement ce que je choisirais. Cela me fait penser qu’il faudra que je demande à Walter Hill de me dédicacer un dvd, parce que je l’aime bien, ce film, quoi qu’en disent les esprits chagrins. 

Quelles sont, pour vous scénariste, les difficultés qui se sont présentées dans la réalisation de cette adaptation ? De quoi êtes-vous le plus fier ?
 
Les difficultés ont été nombreuses, elles ont principalement tenu à la taille du livre et aux ramifications de l’histoire, aux digressions, au nombre de personnages, énorme, qu’il a fallu évidemment diminuer. Les deux voyages au Mexique ont dû être synthétisés en un seul dans la bd. Je crois qu’il est un peu tôt pour moi pour avoir le recul suffisant sur l’album et pour me sentir fier, mais lors de ma dernière relecture, il m’a semblé qu’il y avait une chose qui fonctionne bien et qui est intéressante — le dialogue qui existe entre le texte, les bulles, et le dessin. Ils se complètent et se relaient, et c’est pour ce genre de choses que j’aime la bd. Sinon, l’autre chose dont je suis content, c’est d’avoir utilisé les dialogues originaux du roman, le plus possible, sans les modifier.

     Je suis évidemment très fier de cosigner la première bd de David Fincher. C’est vraiment une grande fierté, tout comme le fait de voir aboutir enfin ce projet qui a été un travail de longue haleine, de plus de trois ans, pour Miles et moi. J’ai aussi été très fier, je ne vais pas le cacher, que James Ellroy ait approuvé mon adaptation. J’avoue que je me suis fait des cheveux pendant tout le temps où j’attendais sa réponse. Quand Ellroy m’a dit que j’avais fait du bon boulot, ç’a été indiscutablement un des moments forts de ma « carrière » de scénariste. Maintenant, on va voir ce que le public en pense.


Envisagez-vous dans un proche avenir des transpositions/expériences du même type ?

Pour l’instant je n’ai pas d’adaptations de romans prévues, mais j’ai une ou deux idées que j’aimerais bien mettre sur pied. Je travaille en ce moment à l’adaptation en bd d’un scénario original de Walter Hill, qui est un grand scénariste. Rappelons que son premier scénario tourné à Hollywood était le Guet-Apens, réalisé par Sam Peckinpah, avec Steve McQueen, d’après un roman de Jim Thompson. L’album devrait sortir début 2015. 

N’êtes-vous pas, à travers ce parcours en apparence un peu sinueux, en train de paver votre route vers Hollywood, en tant que scénariste ? 

Non, pas de complot, pas d’agenda caché : je fais des choses qui me plaisent et qui me motivent, je fais de mon mieux, et je saisis les occasions qui se présentent. J’ai de la chance : mes bd ont attiré l’attention de personnages comme David Fincher, Walter Hill, James Mangold. Ensuite, on verra bien à quoi tout cela aboutit !

Propos recueillis par FAL


David Fincher, Matz, Miles Hyman, James Ellroy
Le Dahlia noirRivages/Casterman/Noir, novembre 2013, 20,00 €


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