Famille décomposée : entretien avec Xavier de Moulins à propos de son roman "Que ton règne vienne"

Xavier de Moulins présente le JT sur M6, mais il regarde aussi la réalité sous l’angle de la fiction et publie son troisième roman, Que ton règne vienne. En précisant d’emblée que « ce livre ne parle pas de religion ». Car si nous avons là le père et le fils, il n’est pas sûr que le Saint Esprit soit vraiment de la partie.

 

Puisque nous sommes en France et que l’auteur a fait de solides études classiques, il faut bien entendu, comme on l’apprend en Terminale dès le premier cours de philosophie, reformuler le sujet de la dissertation. Le sujet de la dissertation, c’est en l’occurrence le titre du roman : Que ton règne vienne. Et donc, il faut bien comprendre que le mot le plus important dans ce titre, c’est évidemment le mot père, puisqu’il n’y est pas. Il est, comme on dit, sous-entendu. Encore un petit effort, et nous y sommes — la vraie question qui se pose ici est la suivante : notre père est-il bien aux cieux ?

 

Ah ! cette manière française, cette manie française de toujours aller chercher la partie immergée de l’iceberg sous la partie émergée ! Certes, ce réflexe a du bon, puisque l’intelligence consiste le plus souvent à savoir regarder les choses sous un autre jour, et nous savons, grâce à Proust, que « la littérature, c’est la métaphore ». Encore faut-il que le détour propre à la métaphore soit un outil permettant d’accéder plus vite au cœur même du sujet. Encore faut-il que la littérature d’évasion soit littérature d’invasion ; qu’elle nous ramène à nous-mêmes. Car il est des métaphores qui ne sont que des égarements. Qui éloignent définitivement du sujet. La France est bien le seul pays où tous les journalistes s’obstinent à répéter qu’une dame en vue a été victime d’une chute de tension quand, dans les deux heures qui suivaient l’événement, le New York Times déclarait loud and clear sur son site que la dame en question avait fait une tentative de suicide.

 

Où donc se situe Xavier de Moulins avec son Notre Père qui n’ose pas dire son nom ? On peut l’accuser de n’avoir pas traité son sujet. Le récit, si l’on en juge d’après l’exposition, est censé être là pour permettre au narrateur de régler ses comptes avec un père odieux, au lendemain de la mort de celui-ci. Mais, alors même que le secret de famille qui sous-tend ce récit se dessine assez nettement dès les vingt premières pages dans l’esprit du lecteur qui a vu le Lauréat avec Dustin Hoffman ou qui se souvient du personnage de Bernard Tapie dans Hommes femmes mode d’emploi de Lelouch, la figure du père n’apparaît finalement que très rarement dans les deux cents pages qui suivent, la place du protagoniste étant le plus souvent occupée par le meilleur ami du narrateur, un homosexuel prénommé Oscar, naïf attendrissant qui ne voit pas que le corollaire du mariage pour tous qu’il réclame est le divorce pour presque tous, lui inclus.

 

Au-delà du secret de famille et de l’embrouillamini sexuel qui s’y attache, il y avait dans l’affrontement père-fils un thème mythique — Cronos dévorant ses enfants — que Xavier de Moulins se contente de traiter de loin, et l’on pourra lui reprocher d’avoir abandonné ses ambitions en route et d’avoir lui-même désamorcé la bombe qu’il brandissait.

 

Mais l’on pourra aussi soutenir que c’est précisément en reléguant presque tout le temps la figure du père dans les coulisses qu’il fait vraiment œuvre littéraire. La littérature, la vraie, aspire toujours à dire l’indicible, qui, par définition, ne saurait être dit. Elle doit « se résigner » à suggérer. Que ton règne vienne n’est donc pas tant un roman où l’on voit le narrateur régler des comptes avec son Père-l’Impudeur qu’un roman qui dit l’impossibilité de régler définitivement des comptes avec son père, même quand ce père n’est plus. Cette fuite en avant est ici telle que l’aventure prend parfois des allures de science-fiction, bon nombre de chapitres étant censés se passer — malgré le « réalisme » de certaines évocations — en l’an 2015. Variation flaubertienne sur le temps : le passé qu’on aurait voulu vivre et qui n’a pas été est renvoyé dans un avenir qui ne sera très probablement pas.

 

Tout cela n’est évidemment pas très gai. Et même, pas très gay non plus. L’amorce de happy end qui nous est proposée ressemble à la morale d’un conte de Voltaire : si vous voulez entretenir une relation durable avec quelqu’un, ayez pour ami un homosexuel sans être homosexuel vous-même. Bien malin qui pourra dire si le récit était homo- ou hétéro-diégétique…

 

 

Anthony Burgess, auteur du roman l’Orange mécanique, avait déclaré que tout écrivain devait avoir un autre métier que celui d’écrivain (lui-même était aussi chef d’orchestre). Comment conciliez-vous votre métier de journaliste et votre métier d’écrivain ?

 

« Le journalisme pour vivre, l’écriture pour exister », disait Claude Roy. Je suis assez sur cette ligne. Il y a là deux mondes que tout oppose. Le journalisme et l’écriture ne sont pas des métiers, mais bien des passions avant tout. Le jour où l’un ou l’autre n’est plus qu’un métier, il faut songer à changer de direction. Je ne concilie pas ces deux univers, je compose avec eux. L’écriture, c’est très tôt le matin, et un peu le soir… et le reste du temps. Entendez par là que lorsqu’un sujet s’impose à moi, il est en moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

 

Est-ce parce que vous avez un nom à particule que l’on trouve au cœur des trois romans que vous avez publiés à ce jour la question de la famille, de la lignée ? Vous mettez en exergue une citation de Jules Renard sur la paternité : « Un père a deux vies : la sienne et celle de son fils. » ; cette phrase a-t-elle été un déclencheur ou l’avez-vous trouvée après coup ?

 

Pensez-vous que seuls les gens à particule s’intéressent à la vie ? Je ne crois pas. Mon nom n’a rien à voir avec cela. Pour Jules Renard, c’est une histoire amusante. La citation est apparue après coup. Lors d’un anniversaire, un fils a lu un discours plein d’amour et, en remerciant son père pour l’ensemble de son œuvre, il a cité l’une des phrases les plus connues de Jules Renard. J’ai trouvé intéressant de prendre cette phrase au pied de la lettre et de retourner un compliment.

 

Le lecteur moyen qui a vécu une « enfance heureuse » peut-il s’identifier à votre narrateur ?

 

J’espère que même ceux qui, comme moi, ont eu la chance d’avoir une enfance heureuse trouveront de quoi s’identifier au narrateur. La raison est simple : c’est un livre qui aimerait donner de la lumière à tous. Un livre pour tous. Car, avant tout, il parle d’espoir et de résurrection. Dans l’obscurité, la lumière est toujours présente quelque part.

 

Si l’on juge les hommes dans votre roman, on juge assez peu les femmes, qui pourtant ne sont pas, elles non plus, irréprochables. Pourquoi cette dis-parité ?

 

J’espère ne juger personne. Mais c’est vrai, j’ai voulu les femmes plus insaisissables que les hommes — comme dans la vie. Regardez autour de vous : les femmes sont un mystère.

 

Vous aviez songé à écrire un roman à la première personne du féminin. Ce projet est-il totalement abandonné ?

 

J’ai écrit ce livre à la première personne du féminin. Et je l’ai jeté à la poubelle. Je n’ai pas su faire. J’aimerais un jour y arriver. Ce doit être fascinant d’être une femme, le temps d’un livre.

 

Vous semblez préoccupé par le statut social des homosexuels, mais vous avez pour eux l’espèce d’apitoiement que Baudelaire a pour les pauvres. Il ne reproche pas aux pauvres d’être pauvres, mais d’avoir des idéaux de riches. On dirait que vous voulez rappeler aux homosexuels qui entendent ressembler aux hétérosexuels que la vie de ceux-ci n’est pas le jardin de roses qu’ils imaginent.

 

Je ne suis pas d’accord. Je renvoie tout le monde dos à dos pour parler du couple. Cela n’a rien à voir avec la notion d’orientation sexuelle, et loin de moi l’idée de juger qui que ce soit. Je suis pour toutes les libertés. Il est intéressant de constater que le modèle du couple s’exporte aujourd’hui pour tout le monde via un papier-cadeau qu’on appelle le mariage… Ce genre d’Eldorado me fascine, parce qu’il peut défier beaucoup de choses, y compris le temps qui dévore tout et tout le monde, et parce qu’il y a de plus en plus d’appelés et de moins en moins d’élus. Mariage, mon beau mirage.

 

Pourquoi la datation des chapitres inclut-elle des dates futures, mais qui, toutefois, ne vont pas plus loin que l’an 2015 ?

 

Parce que parfois la science-fiction ne se passe pas seulement en 2135. Elle se conjugue au présent et au futur proche. Très proche.

 

Pourquoi avez-vous changé d’éditeur ?

 

Parce que la vie est pleine de surprises et de rebondissements. Parce que rien n’est jamais gagné pour personne, ni perdu, et que parfois il est bon de se laisser cueillir par la joie.

 


Propos recueillis par FAL

 

Xavier de MoulinsQue ton règne vienne, Éditions Jean-Claude Lattès, janvier 2014, 18 €

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M.DE MOULINS est en tous cas un "journaliste" aux méthodes bien peu orthodoxes. Racolage, bidonnage; dernière affaire en date avec le faux reportage qu'il a présenté en 2014 sur M6: https://www.youtube.com/watch?v=S2vVlWDQfq0