Jean-Bernard Pouy, "Tout doit disparaître"






CE VOLUME CONTIENT

À la recherche...

À la recherche de l’honneur perdu de Jeanne d’Arc, des mystères de l’épouse suicidaire ou de ceux, honteux, d'une famille militante. À la recherche de l’enfant disparu ou d’une victime devenue proie. Cinq récits métaphoriques ou brutalement réalistes, parcours initiatiques menés par des rebelles littéraires, des adolescents piétinés, des maris aimants mais floués, des mères douloureuses, des fils en manque…

Cinq récits graves mais stylistiquement suffisamment décalés pour que l'humour apaise un peu la douleur du Monde.

Cinq romans noirs datant des années 80 et 90 et publiés à la Série Noire.


Jean-Bernard Pouy n’est pas le pape du polar français.

Pouy n’aime pas le pape.

Il serait peut-être le Poulpe, dont il a créé la série qui est devenue plus tard un genre littéraire proprement-dit.

Non, Pouy est plus que cela : Pouy a écrit Spinoza encule Hegel, et là, on touche au sublime. C’est Audiard qui aurait eu un fils avec Desproges, mais Desproges ne pouvait avoir d’enfant, alors Pouy s’est fait tout seul, consubstantiellement, se frottant au stylo avec cette indépendance et cette force qui font de lui ce qui s’écrit de mieux dans le très encombré monde du Polar noir français. Et là, je vous entends soupirer.

La Série Noire de Gallimard a donc eu une vision, non pas mystique, mais intéressée, parce que Pouy, ça donne un frisson quand il vend, ça permet à un éditeur de ne pas acheter Musso ou Nothomb à prix d’or, parce que là, vous avez la chance pour le même prix de vous retrouver devant 701 pages calibrées comme une nouvelle et je ne connais pas la nouvelle, où est-elle ? répond-il, caché derrière ses hublots et sa tignasse de peintre de la Butte Montmartre.

Tout doit disparaître est la réédition de cinq de ses premiers romans, les meilleurs d’après mon amour immodéré pour le maître qui fouette autant qu’il fait rire, un peu ces chatons aux yeux humides qui seraient armés de crocs de boucher.

Le premier opus, Nous avons brûlé une sainte, est sous droits de Gallimard depuis 1984, son deuxième roman après le chef d’œuvre  déjà cité, publié en 83, lui chez Albin Michel. Je dis ça, je dis rien. Il est le condensé de ce que vous devez savoir de l’écrivain, il décrit le monde écartelé par le Mal, avec tant d’amour pour l’humanité qu’il décrit, tous ces personnages détaillés, que le Bien devient un mal savoureux.

Cette pépite qui rentrera sous peu dans le Lagarde & Michard, nous narre l’histoire d’Anne, qui pourrait être d’Arc, une cinglée élégante qui s’en va en guerre contre l’Anglais avec trois fois deux bras en aides plus amoureuses que sensibles à la fragilité humaine, surtout devant une munition de gros calibres.

La technique littéraire est époustouflante. Pouy choisit pour nous enlever tout libre choix, l’approche de la manipulation psychologique des foules de Gustave Lebon, bien avant Goebbels, qui lui, fait vraiment peur. Il vous prend doucement par le cou, et il serre, il vous emporte en crescendo vers l’apothéose finale qui vous laisse sur le cul, haletant, en vous demandant pourquoi d’autres auteurs de polars noirs se fatiguent à écrire, quand là, tout est dans la précision, la langue, la construction, cet humour naturel d’un homme bon qui emmerde ce monde, directement issue de la protestation sociale des années 70.

Le deuxième roman, La Pêche aux anges est le "Série noire" no 2042. Il date de 1986, quand Michel Host raflait le Prix Goncourt, et là je vous regarde vous interroger sur l’heure à laquelle j’écris ces quelques mots.

L’immense Pouy y traque des trafiquants d’enfants, autour d’un gentil gitan qui sort de prison, qui tombe dingue de la belle Liliane, encore une sainte, autour d’un florilège de personnages tous aussi précisément croqués qu’un décor de l’école hollandaise, mais sans les tulipes, cela va de soi.

 Mince, je dépasse le nombre de mots qu’on m’a demandé en critique mal intentionné.

Les trois autres, si vous ne les avaient pas lu, vous n’avez rien lu, rien compris du polar français. C’est le Pouy de la série noire jusqu’en 1992, net, propre, romans qu’on laisse près de soi pour ne jamais les quitter, ceux qui poussent à laisser tomber nombre d’imitations, d’imitateurs médiocres.

Si Gallimard ne nous offre pas la suite, les cinq suivants, par exemple, réunis dans cette belle livrée noire qui peut aussi servir de pavé contre les bavards, je dépose une plainte aux Nations Unies.

Donc, pour conclure, il n’y a rien de mieux dans le polar que Pouy.

M’sieur ? Je peux ajouter un petit truc, encore ?

Gallimard a demandé une introduction à Caryl Ferré. Elle n’apporte rien, ou alors il a dû s’incruster. Elle n’est pas écrite, elle est dégoulinante du type qui s’écoute parler, est la seule tache dans cette réédition que je vous conseille vivement. Comment ont-ils pu laisser passer ce résumé Wikipédia d’un génie ? Tout ça parce qu’il se proclame libertaire, oui, mais alors, comme Marc Lévy ? Ce n’est que deux pages, elles ont disparu de mon exemplaire.

« Jean-Bernard Pouy n’a pas besoin d’introduction », juste un doigt, et puis c’est tout.

 

Patrick de Friberg


Jean-Bernard Pouy, Tout doit disparaître, préface de Caryl Ferey, Gallimard, "Série Noire", mars 2015, 720 pages, 24,50 eur

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