"Louis XV", une biographie magistrale

Accusé Louis, levez-vous !

 

Pierre Gaxotte, François Bluche et Michel Antoine se sont déjà penchées sur cette singulière figure de l’histoire de France qu’est Louis XV. Car le successeur de Louis XIV, très décrié (un peu comme Napoléon III) a fait l’objet d’études tant sur son règne (le siècle de Louis XV, par Pierre Gaxotte) que sur sa personne privée voire intime (Maurice Lever avait consacré une excellente monographie sur sa sexualité). Car le personnage et son époque sont une énigme : on ne cesse de se pencher sur la période pré révolutionnaire en essayant de dénicher les causes de 89. François Bluche avait par exemple stigmatisé dans son ouvrage la faiblesse du Bien aimé face au Parlement (tout en saluant son sursaut en 1771 qui l’amena à  soutenir le coup de majesté du chancelier Maupéou). Or, la démarche de Petitfils, dénuée de tout velléité téléologique ou apologétique, cherche au contraire à restituer l’homme et son époque au plus près, le plus clairement possible. L’effort s’avère payant.

 

Du sérieux en histoire

 

Un des mérites de l’histoire des Annales a été d’insister sur le mouvement long, tant des mentalités que de l’économie ou du politique. Or le 18ième siècle est justement un moment de basculement. Jean-Christian Petitfils, à la suite de Roger Chartier ou Jürgen Habermas (L’espace public, 1962), resitue bien le règne de Louis XV dans ce contexte. Le roi très chrétien, héritier de son arrière grand-père Louis XIV, doit sous son règne affronter la contestation janséniste qui, par désespoir, va joindre ses forces à la contestation parlementaire et surtout à celle des philosophes. Ceux-ci s’appuient donc sur la naissance de « l’opinion publique », au milieu du siècle pas plus de 100 000 personnes, nobles ou bourgeois, qui lisent, réfléchissent. Petit à petit, ils sont amenés à remettre en question une monarchie de moins en moins « sacrée » et à séparer Roi et Nation.

 

Louis XV, ce sensuel ?

 

De Louis, la mémoire a gardé l’image d’un débauché, de l’amant de la Pompadour, cette femme qui le « commandait » (ce qui choqua « l’opinion »), et du pensionnaire du parc aux cerfs : rappelons que cet endroit de Versailles accueillait de jeunes femmes désargentées, la plupart du temps nobles, que le roi, incognito (mais pas toujours) venait séduire… Jean-Christian Petitfils a le mérite de replacer les choses dans leur contexte (Louis XV n’a pas eu plus de maîtresses que Louis XIV ou Henri IV) et surtout celles-ci n’ont pas eu autant d’influence qu’on ne le croyait : après la mort du cardinal de Fleury, c’était bien le roi qui gouvernait et lui seul.

 

Louis XV, ce précurseur ?

 

Ce roi, accusé par l’historiographie de la 3ième République de ne pas avoir su garder le Canada et la Louisiane à la France, a aussi eu le panache et surtout la modernité au moment de la paix d’Aix-la-Chapelle (1748) de rendre la Belgique (malgré la victoire de Maurice de Saxe à Fontenoy) à l’Autriche (alors que la Prusse annexait, après une guerre d’agression, la Silésie). Il proclamait ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe (je renvoie à, l’excellent ouvrage de Jean-Pierre Bois, Fontenoy) qu’au droit de conquête pouvait se substituer un droit international (à l’époque appelé « droit des gens ») appelé à réguler les relations entre Etats. De plus, il mettait ainsi fin au conflit multiséculaire entre Autriche et France, Habsbourg et Bourbons.

 

La mauvaise fortune de Louis XV

 

Au fond, sa malchance vient du fait qu’il a voulu imiter en tout son aïeul : c’est ici que François Bluche et Jean-Christian Petitfils se rejoignent. Ludovicus Bifrons, disent les deux. Or Louis XV, élevé en ce sens par son précepteur Villeroy, encouragé par Fleury, eut du mal à être lui-même. Trop dévot, il se refusait à toucher les scrofuleux en se sachant en péché d’adultère (Louis XIV n’eut jamais ses scrupules), mettant à mal la fonction thaumaturgique des rois de France et participant ainsi, malgré lui, à la désacralisation de la monarchie.

 

Sur bien des points, Louis XV est un enfant des lumières (il se montre par exemple féru de découvertes scientifiques et d’astronomie) mais il ne saisit pas le mouvement profond qui agite la France. Pour autant, malgré sa vie « dissolue » et la défaite militaire de la guerre de sept ans, la monarchie n’est pas remise en cause dans son principe : rien n’est joué en 1774, ce qui restitue à événement révolutionnaire son poids majeur. C’est tout le talent de Jean-Christian Petitfils de parvenir à nous peindre chaque nuance de ce monarque faillible, attachant et finalement plus proche de notre époque que nous ne l’avions pensé.

 

Sylvain Bonnet

 

Jean-Christian Petitfils, Louis XV, Perrin, novembre 2014, 900 pages, 29 €

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