Quelles Œuvres de Jean d’Ormesson dans la Pléiade ?

 

Point ici de polémique, certains s’en sont chargés avec plus ou moins de succès, la caravane de la Pléiade avance inexorablement, et c’est tant mieux… On a tant dit, écrit, sifflé, applaudi ou méprisé Jean d’Ormesson (dont la carrière fut multiple : journaliste, homme de télévision, académicien, normalien, énarque, président d’une importante commission à l’UNESCO), vieille habitude française de décrier celui qui réussit, que nous en resterons à sa seule œuvre littéraire. Laquelle, d’ailleurs, fut aussi mal perçue : je me souviens d’une jaquette de France Loisirs présentant Au revoir et merci comme un essai (sic) alors que lors de sa première parution chez Julliard, en 1966, il n’était fait mention d’aucun genre ; tandis que Gallimard, en 1976 le rééditait et le sacralisait roman… alors qu’il s’agit d’un récit.
Jean d’Ormesson rentre donc de son vivant dans la plus prestigieuse collection du monde, après Milan Kundera. Mais si le tchèque a vu l’intégralité de ses écrits imprimés sur papier bible, qu’en est-il de la sélection opérée parmi la production de notre héros du jour ?

Quand Antoine Gallimard téléphona à Jean d’Ormesson pour lui annoncer la bonne nouvelle, il fallut bien se rendre à l’évidence : vers quel choix tendre ? Seulement quatre livres retenus par l’auteur, parus entre 1966 et 1991, quatre phares pour éclairer l’immense plaine fertile d’un auteur qui ne manque pas de panache ni d’humour, à commencer envers lui-même, sans doute doit-on ici y voir une partie de la réponse à son amour pour Cyrano de Bergerac. D’ailleurs, dans son avant-propos, Jean d’Ormesson avoue-t-il son penchant pour un certain manque d’imagination dans la construction de personnages de fiction, aussi se concentra-t-il très vite vers l’Histoire et puisa-t-il dans l’immense terreau de ses lectures d’enfant puis d’adolescent, lui qui n’aimait que lire, lire et lire encore...
Ainsi de nous gratifier de clins d’œil à Giraudoux, Montesquieu, Voltaire voire Ronsard, du Bellay, Aragon ou Paul Valéry. Érudit parmi les érudits, Jean d’Ormesson n’en reste pas moins un esprit facétieux qui dépose, livre après livre, sur les marches du panthéon de la littérature, des textes allègres, burlesques, enlevés, ironiques, légers.

Mais attention, le dessein n’est pas le pur divertissement, si le style est parfois léger le propos est sérieux, mais jamais ennuyeux. Jean d’Ormesson picore donc dans l’histoire du monde – et aussi la sienne, quand ce n’est pas sa famille qui sert de carcan, il s’amuse à citer une phrase ou deux de ses livres précédents. Philosophe, il écrivit dans La douane de mer (sorte de suite d’Histoire du Juif errant, dont l’une des parties porte d’ailleurs ce nom) : "Il n’est pas impossible après tout que rien ne serve à rien et que l’univers soit absurde."
Jean d’Ormesson serait donc un romancier d’époque ? Non pas celui qui montre une société mais le prédicateur qui décrypte le symptôme actuel du mélange des genres et des troupeaux de gogos crédules qui gobent tout ce que des prédicateurs infâmes leurs proposent.
Drapé dans le manteau chrétien, celui qui ne reconnaît qu’un seul écrivain, Dieu, Jean d'Ormesson s’amuse donc à nous rappeler que le monde est un spectacle – quand "les imbéciles répètent que la vie est un combat". Alors, pourquoi se priver ? Sont aussitôt convoqués Stendhal, Sand, Musset, Leibniz, Heidegger, Boileau, Montaigne, etc.

En ouvrant ce six cent cinquième volume, à côté d’un arbre généalogique indispensable pour bien appréhender la foule des personnages d’Au plaisir de Dieu, un erratum, élément rarissime d’autant plus surprenant en Pléiade qu’il me rappela une réflexion d’un ami, expert en ouvrages rares, piliers du marché du parc Georges Brassens, grand collectionneur d’œuvres originales, qui m’informa que, paradoxalement, cela donnait une valeur marchande supplémentaire, cette petite fiche cartonnée, quand plus tard, dans cinquante soixante, cent ans, un bouquiniste présenterait ce tome 605, s’il était encore muni de son sésame, les chiffres s’affoleraient…
Mais gardons notre sang-froid et savourons plutôt le style de ce grand épicurien du verbe.

Les Œuvres de Jean d’Ormesson sont bien, comme le décrivait si justement Josyane Savigneau dans Le monde des livres en 1993, le catéchisme de la fin du millénaire, et donc désormais, du début du XXIe siècle. Une raison de plus pour se donner la peine – et le plaisir – de lire ou relire ces livres : c’est le meilleur moyen, nous signale Marc Fumaroli en conclusion de sa préface, de se délivrer de l’image de facile optimisme que s’en font ceux qui ne l’ont pas lu ou qui ne l’ont lu qu’en diagonale.

Production inégale dans laquelle ne furent extirpés que quatre livres ? Et alors ?!
Ces Œuvres sont pour la postérité – et pour les petits curieux et les grincheux, prochainement, dans la collection Bouquins, chez Robert Lafont, un florilège de ses éditoriaux et autres articles de combat sera publié – car pour ce qui est de la Pléiade, seule la littérature a voix au chapitre. Ainsi, s'ouvre ce tome par le récit pétillant et désincarné d’un Au revoir et merci (1966) qui relève aussi de la farce et du défi, une manière de boucler un parcours trop vite démarré. Un "au revoir" adressé à lui-même et un "merci" à René Julliard qui voyait en lui le "frère de Sagan". On passe à La Gloire de l’Empire (1971) : c’est le dépassement ou la tentative de dépassement du temps figé, un tour de force d’horlogerie littéraire peignant une profonde médiation sur l’histoire et sur le temps historique qui divisa la critique, mais point le public…  puis vint Au plaisir de Dieu (1974), marquant la lutte du temps qui dure contre le temps qui passe, qui s’est très vite transformé en triomphe télévisuel (1977) après son succès de librairie : le narrateur se fait le témoin neutre et le mémorialiste attentif des effets sur les siens de la crise sans précédent qui eut raison de la tradition européenne, entre 1915 et 1968, après deux massacres de masse en Europe et une banqueroute ruineuse à l’échelle mondiale.
L’Histoire du Juif errant conclut cet ensemble : publié dix-sept ans plus tard, il n’en reprend pas moins, en l’approfondissant, la méditation de l’auteur sur le temps, l’histoire, la modernité, la démocratie, amorcée dans les deux grands romans des années 1960-70.

Digne représentant du roman français, Jean d'Ormesson rejoint finalement Michel Onfray, et regarde avec fatalité le monde qui s’effondre : suivons-le avec bonne humeur plutôt que de combattre des moulins à vent.

François Xavier

Jean d’Ormesson, Œuvres, coll. "Bibliothèque de la Pléiade n°605", édition publiée établie par Bernard Degout, préface de Marc Fumaroli, Gallimard, avril 2015, 1760 p. - 62,50 €

 

 

Ce volume contient :

Préface, chronologie, avant-propos de l’auteur ; Au revoir et merci ; La Gloire de l’Empire ; Au plaisir de Dieu ; Histoire du Juif errant ; introduction, notices, documents.

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