L'anti-américanisme en questions, autour de l'essai de Jean-François Revel

L’esprit des cet essai se retrouve dans son titre, L’obsession anti-américaine, et plus encore dans son sous-titre   »son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences ». De la part du libéral (oh le gros mot !) Revel, cela n’étonnera pas. Nous pourrions résumer la thèse de Jean-François Revel comme suit : il est tout à fait possible et souhaitable de critiquer les États-Unis d’Amérique, à la condition sine qua non de le faire sur des faits et des chiffres véridiques et vérifiés ; or, l’anti-américanisme, qui n’est qu’un forme bouc-émissaire de l’anti-libéralisme, qu’il soit de gauche, de droite, ou d’extrême(s), s’échine à se fonder sur des contre-vérités, des vérités partielles, des chiffres largement fantasmés, sur des procès d’intention. Revel le démontre chiffres à l’appui. Il démonte méthodiquement les arguments – ou les élucubrations – de l’anti-américanisme, qu’il prenne sa source dans les fleuves de sang rouge ou noir. Sur la globalité de l’argumentation, sur les exemples chiffrés, sur l’esprit général, nous sommes en accord avec Revel (Oh, l’affreux libéral !). Nous avons toutefois quelques réserves sur les bienfaits de la mondialisation ou de l’éviction de certains dictateurs.


Revel soutient, et son argumentation est tout à fait pertinente, que la mondialisation est synonyme de diversité culturelle et non de l’uniformisation. Ses illustrations sont convaincantes. Et en effet, sans mondialisation, sans échanges, la culture se sclérose. Je reprendrai l’exemple spartiate. Là où Revel s’en félicite, nous regrettons quant à nous cette mondialisation sans frein qui fait qu’où que vous soyez, à New-York, à Paris, Lima, Dakar, Shangaï ou Oulan-Bator, vous retrouvez les mêmes enseignes, vous mangez indifféremment et au choix toutes les cuisines. Elle se situe là l’uniformisation culturelle issue de la mondialisation. Elle réside dans le fait que tout soit accessible à tous et partout. C’est-à-dire dans la mort de la culture (la culture, ce qui se transmet, n’a plus lieu d’être puisque tout est disponible urbi et orbi) et des civilisations. Civilisations qui sont, rappelons-le, le fruit d’une histoire, d’une géographie,  et des peuples déterminés par cet environnement. Avec la mondialisation, tout ceci n’a plus de sens. Les civilisations sont mortes, et les identitaires de tout bord peuvent toujours jouer du cornet à piston devant la Tour Eiffel en s’imaginant qu’elle va danser la samba, le fait est. Et il apparait inéluctable. Il nous semble que Revel n’a pas relevé ce fait, qu’il ne l’a pas senti, ou qu’il l’a négligé, le tenant pour nul ou sans intérêt. C’est pourtant la vraie conséquence de la mondialisation, et c’est une révolution : il n’y a plus de civilisations ; il y a un gigantesque marché où les ersatz de civilisations et de culture ne sont que des produits comme les autres, disponibles à n’importe qui, n’importe où et tout le temps, livrés aux jeux aveugles des machines à investir.


Notre seconde réserve sur l’argumentation développée par Revel est plus précise. Elle concerne l’éviction de Saddam Hussein, et donc la seconde guerre d’Irak. Sur la première, nous sommes parfaitement en accord avec l’analyse de Jean-François Revel. Sur la seconde, nous avons plus de réserves, sans toutefois prétendre à une vérité quelconque. Précaution indispensable dans un pays où le qualificatif de facho et la reductio ad Hitlerum sont plus communs que le chien domestique : oui Saddam était un dictateur, un criminel de guerre. Non, le régime baasiste n’est pas, n’a jamais été une démocratie. Et nous n’éprouvons aucune sympathie à son égard. Mais le nouveau régime irakien est-il meilleur ? Fallait-il laisser le pouvoir aux communautaristes religieux ? Nous posons la question. Cependant, est-il loisible de penser qu’un dictateur laïque sera toujours plus gérable que son jumeau religieux – peu importe la religion par ailleurs, mais d’autant plus si les écritures saintes sont supposées être la parole de Dieu (et donc à ce titre, ni critiquables, ni violables, quelles qu’en soient la stupidité, la violence… ou les bienfaits). Nous prolongeons la question sur la Libye (Revel était décédé depuis 2006) et l’adressons à Bernard-Henri Lévy. Était-il souhaitable, ou indispensable, nécessaire, de filer des armes et le pouvoir aux djihadistes qui les retournent contre nous, et contre le peuple libyen, déjà victime de Khadafi avant ? Pour le peuple libyen, plus d’insécurité et d’anarchie ; pour le monde, plus de terrorisme. Il nous semble que la question du moment se pose en cas d’intervention militaire. Non seulement la question du moment opportun, mais plus encore celle de la suite et des moyens à engager pour éviter la succession de fiascos diplomatico-démocratico-militaires de l’Irak, de la Libye, de la Syrie et à nouveau de l’Irak. Décidément, il est naïf ou prétentieux de vouloir imposer les droits de l’homme par la guerre. L’enfer est pavé de bonnes intentions, souvent plus criminelles que la real-politik qui choque pourtant plus qu’à son heure notre sensibilité et notre morale à bien des égards. Mais n’est-ce pas là un moindre mal ? Nous n’apportons pas de réponse fermée ou toute faite. Nous n’apportons pas de réponse du tout. Nous n’avons que des questions, et il nous parait difficile de jouer aux Pères-La-Morale ou aux Mères-La-Pudeur en pareille matière.


En conclusion, Nous sommes globalement en accord avec Jean-François Revel sur la question du libéralisme ; nous pensons qu’il dénonce à juste titre et de manière pertinente l’anti-américanisme imbécile. Les questions que soulèvent chez nous son argumentaire ne sont pas par ailleurs intrinsèquement liées à la question de l’anti-américanisme. Cependant elles ouvrent un champ de réflexion que nous nous permettons de soumettre à la dispute civilisée…


Jean-François REVEL, L'obsession anti-américaine. Son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences. , 2002, Plon, 2003, Pocket, 317 pages, 7 euros.


8 commentaires

Jean-François Revel était un esprit subtil et raffiné. J'aurais cependant aimé connaître son avis sur la crise du modèle économique néo libéral depuis 2008...

Pour ce que je peux conclure de la lecture de cet essai (et aussi de son recueil d'articles intitulé Fin du siècle des ombres), j'imagine sans toutefois prétendre faire parler un mort qu'il imputerait la faute aux hommes et non au système... J'aurais aussi été curieux de connaître son opinion sur ce qu'est devenu l'Irak, ou sur les épisodes Libyens et Syriens...

Et si c'était le système idéologique qui était en cause? La superstructure (terme marxien) libérale? Ah Revel, reviens...

Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Danemark... manifestement. Existe-t-il mieux ailleurs ? c'est toute la question qui hante la légitimité du système idéologique libéral (le système communiste ayant déjà fait ses preuves)...

La question mérite en tout cas d'être posée. La faillite et les crimes du système communiste ne doit pas interdire de chercher à bâtir autre chose et de se contenter du système idéologique libéral. Le libéralisme, dans sa version "ultra" et livré à lui-même, nous mène à notre perte. Qu'en aurait pensé Revel, admirateur de Reagan?


Parfaitement d'accord avec vous Sylvain, la question mérite d'être posée sur la faillite du libéralisme dans sa version "ultra" aussi... Mais qu'entendons-nous par libéralisme ? Je viens de tomber par hasard sur cette tribune de Garello (libéral) dans le Figaro qui propose une définition (au § 4-5) du libéralisme dans sa globalité (indépendamment du sujet Valls 2 sans intérêt). Je mets le lien, je pense que cette définition est proche de celle de Revel... et selon cette définition, il me semble que la faillite ne peut venir que d'une mauvaise interprétation ou utilisation par les hommes...
http://www.lefigaro.fr/vox/economie/2014/09/02/31007-20140902ARTFIG00212-non-le-gouvernement-valls-2-n-est-pas-liberal.php

Sujet intéressant, ma foi, car il questionne l'irrationnel en politique.
 Je n'ai pas lu le bouquin, donc je ne sais pas s''il parle de cet aspect très terre à terre  du sujet, mais une chose toute simple m'a toujours frappé : les gens viscéralement , -j'allais dire pathologiquement-les plus anti-américains  (nos Verts , les cocos et toute l'extrème gauche)  portent en majorité des Nike et des t- shirts aux inscriptions anglo-saxonnes. Eh oui! C'est pas une blague, les photos du public de la fête de l'Huma ou des manifs CGT  le prouvent facilement . C'est curieux , quand même ce manque de cohérence...

il est vrai qu'on ne peut pas trop demander de réflexion au militant de base de la Fête de l'Huma, au QI forcément limité.     Alors, ce constat vaudrait-il aussi pour les bobos du marais, intelligents, éduqués, non révolutionnaires, riches, en bref  la gauche bio?  Eh bien oui, tous ces braves gens sont prêts à tuer leur mère pour le dernier iphone, n'écoutent que de la musique anglo-saxonne,  et pètent uniquement dans du Calvin Klein.   Mais passent leur loisirs à pétitionner et hurler au fascisme  dès que les USA font quelque chose dans le monde. Allez comprendre.

Enfin, sur le reste de la planète, ça n'est guère plus cohérent . Les fellahs du Caire , les barbus de Téhéran , les guerriers afghans, les  élites chinoises, les cubains, tous, officiellement, abhorrent les States.  Mais confessent en privé leur rêve d'émigrer là bas. Même Kim, le jeune dictateur de corée du nord , qui vomit le grand Satan américain à longueur de discours, a  tenté d'aller à Disneyland incognito. C'est dire.

Les USA sont clairement le Diable pour la moitié de la planète. Le problème, c'est que Satan est diablement sexy....

@ Proutch : je vous confirme que JFR utilise des exemples précis, datés et chiffrés, et ce tout au long de l'essai... et les paradoxes que vous relevez sont évidemment réels et cocasses... pour paraphraser Audiard père, certains osent tout et c'est même à ça qu'on les reconnait :-)