Michel Bourçon : Rustin, fin de partie

Les peintures de Jean Rustin sont des métaphores d'angoisse. Tout se passe comme si l'artiste voulait - en dehors du malaise engendré par une telle vision - faire ressentir une conscience différente du monde et de l’être.  Dans ce contexte, le déploiement des images ou plutôt leur reflux, leurs diminuendo indiquent l'affirmation formelle d'une extinction. Cette affirmation formelle exige un degré supérieur d'abstraction du réel tout en confrontant le regardeur à la réalité. Plus qu’un autre le poète Michel Bourçon l’a compris et met des mots essentiels sur une peinture qui fait encore « parler » ce qui ne parle plus ou presque. Le poète évoque ce qui, dans cette peinture, aveugle, repousse en obligeant à une confrontation communicante.

Chaque toile dans sa radicalité et sa simplicité reste une énigme sans solution. « L’actant » prouve combien « è finita la commedia » là où Rustin crée une sorte de vertige.  L’insignifiance du contingent (une histoire ou une autre)  devient la marque des images qui créent une triple ambiguïté : épistémologique (impossible de déterminer le circonstanciel "vrai"), pragmatique (c'est l'essentiel et non le circonstanciel qui est réel), ontologique (le circonstanciel est sans importance quand la réalité devient l'infirme). S'abstenant de toute pensée discursive, Bourçon évoque de telles  images à la fois mentales et physiques chargées des ombres d’un cauchemar existentiel. Elles sont la projection d'un moi dépossédé dont on ne saura rien. Rien que cette prostration « beckettienne » . Le monde s’est retiré - en dehors parfois d’une table, d’une chaise. Apparaît, dans la réduction extrême, la totalité d'un monde, réel, absolu, sans extérieur, un monde sans profondeur de champ mais infini dans sa réduction.   Il n'y a plus d'entrées ou de sorties. L’être est emmuré vivant. Jusqu'au presque noir d’une ombre qui prolonge le temps à l'infini dans un non-lieu de l’ordre du bientôt sourd et du bientôt muet là où se  perd la vie. Les images ne sont pas autres choses qu'elles-mêmes et ne sont jamais des métaphores d'idées. Demeurent au mieux un cérémonial délétère d’une vague masturbation sans espoir et dont Bourçon souligne la vacuité.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Michel Bourçon, « Jean Rustin, la vie échouée », Editions La tête à l’envers, Crux la Ville,  pages, ­26 Euros.

 

 

1 commentaire

Merci beaucoup pour ce très bel article,cher Monsieur,je suis touché.