Jérôme Leroy, L'Ange gardien : la vie ne vaut d'être vécue sans amour

« On veut tuer Berthet.

C’est une assez mauvaise idée.

D’abord parce que Berthet s’en est rendu compte, ensuite parce que Berthet ne va pas se laisser faire, et enfin parce que Berthet est habitué de la chose. (…) »

 

Le grand témoin de notre époque


En 2011, Jerôme Leroy, personnalité originale du paysage littéraire français, publiait Le Bloc à la série noire. Comme on l’a déjà souligné ici, cet ancien enseignant a beaucoup écrit et publié, aux confins de la science-fiction, du roman noir… Et de la poésie. Avec Le Bloc, il frappa cependant un grand coup en proposant une possible anticipation de notre société, malade de la crise (qui dure depuis 1974, rappelons-le aux plus jeunes) et prête à s’offrir à un mouvement décalque du Front National. Front National dénoncé, diabolisé à outrance (je renvoie au livre de Pierre-André Taguieff, le diable en politique) et mis au banc de la société politique tandis que droite et gauche abandonnaient peuple et nation pour communier dans l’euro-libéralisme. Affairisme, liens étroits entre pouvoirs économiques et politiques, montée de l’islamisme et de l’extrême-droite, ces frères siamois, déliquescence des liens sociaux et déshumanisation : voilà ce dont parle Jérôme Leroy, communiste revendiqué. Le fait est, chers lecteurs, que je me suis découvert un grand frère en sa personne. Le Bloc, me direz-vous était excellent ? L’ange gardien l’est aussi, peut-être même frappe-t-il plus encore et l’esprit et le cœur.


Le tueur à gages, l’écrivain et la femme


Berthet est un employé de l’unité, sorte d’ « Etat profond » à la manœuvre depuis les années 60 pour sauvegarder les intérêts supérieurs de la France… Et surtout les siens. Policier, Berthet a été recruté par l’Unité et a assassiné pas mal de personnes connues (dont Pierre Goldman) mais aussi des quidams, pris par hasard afin de tester sa loyauté. Berthet s’est montré un exécuteur zélé du système mais amateur de poésie, il aspire à autre chose. Un absolu qui le sorte du monde ordinaire. Cet absolu, il va le rencontrer dans Kardiatou Diop. D’origine africaine, rebelle, belle, Kardiatou fascine Berthet qui nourrit une admiration sans bornes à son égard, voire beaucoup plus. Il la protège grâce à l’Unité, arrange les choses plus d’une fois pour elle. Elle, elle se révèle brillante, se sort de la banlieue, passe les concours des grandes écoles grâce à son seul mérité, suscitant l’adoration de Berthet. Commence la politique. Berthet la suit.


Le jour où l’Unité entreprend de l’éliminer, il comprend que Kardiatou est en danger. Et se planque tout en cherchant un confesseur. Un écrivain qui pourrait chroniquer sa vie, à qui il pourrait révéler les secrets de l’Unité. Le candidat est trouvé : Martin Joubert, auteur alcoolique à bout de souffle (sa compagne enseignante et à bout le quitte), de gauche mais travaillant pour un site d’informations très à droite (Leroy a-t-il livré une satire de sa position de critique à Causeur ?), en pleine crise existentielle. Il le sauve de Stanko (personnage déjà croisé dans Le Bloc) et l’embarque dans son aventure, au moment où Kardiartou se présente aux municipales face à Agnès Dorgelles, leader du Bloc. Tout peut arriver, mais Berthet veille, ange gardien de la belle Kardiatou.


Oh l’amour !


Jérôme Leroy livre un roman très critique vis-à-vis de la société française contemporaine. Pour autant, il se montre un vrai romantique en livrant la chronique d’un amour impossible : celui de Berthet envers Kardiatou, un amour qui n’a pas besoin d’une réalisation sexuelle, un amour idéal ; celui d’un homme revenu de tout, féroce instrument d’un système de domination qui, à un moment, fend l’armure. Celui aussi de Joubert, l’écrivain (le porte-parole de Leroy ?) qui à, un moment, a beaucoup misé sur une Kardiatou Diop (malgré sa famille) si intelligente. Si belle. Dans la  période de crise, voire de dépression, que traverse notre pays, Leroy signe un roman noir qui est aussi un roman d’amour. Car tous les personnages sont fous de cette Kardiatou Diop, incarnation de l’universalité et des capacités de libération que porte  la culture française. L’ange gardien constitue donc l’une des vraies réussites de la rentrée littéraire… Et aussi un avertissement : que vaut la vie sans l’amour ?

 

Sylvain Bonnet


Jérôme Leroy, L’ange gardien, Gallimard série noire, septembre 2014, 336 pages, 18,90 €

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