"L'Appel du mort", le premier John le Carré





Présentation de l’éditeur :


Samuel Fennan a été retrouvé mort, une lettre de suicide près de lui. Ce membre du Foreign Office avait été accusé de travailler pour les communistes, mais il était sorti blanchi de l’enquête dont il avait fait l’objet. George Smiley, venu présenter ses condoléances à sa veuve, décroche par hasard le téléphone qui sonne et intercepte un appel pour Fennan. Or, quand on appartient aux services secrets britanniques, le hasard n’existe pas…


Face à la marée d’écrivains de Polar, les auteurs de romans d’espionnage se comptent sur les doigts d’une main. Il y eut Kipling, le précurseur, Conrad l’oublié. Ce fut ensuite l’Angleterre de l’après-guerre qui définît le genre, sans depuis en changer la norme, avec ses limites internationales et ses habitudes de travail du sens et de la forme. On parle d’une technique d’écriture qui ne se définira jamais comme celle du roman américain, comme ceux de Robert Ludlum par exemple.

Souvent, mais pas toujours, l’écrivain du roman d’espionnage se lance dans une série autour d’un même espion. Je me souviens avoir été hypnotisé par l’Agent secret de Graham Green, puis par Len Deighton et son héros Bernard Samson, John Le Carré autour de son George Smiley, mais aussi, plus tard Percy Kemp avec sa série des Harry Boon. J’ai fait de même avec la dizaine de romans où François Carignac est au centre de ma série Guerre froide.

Pour définir le roman d’espionnage, il serait juste de suivre le grand critique nord-américain Norbert Spehner. Il explique que, pour comprendre les genres du roman d’enquête, il suffit d’en étudier l’écriture autour du mythe de Caïn et Abel.

Le thriller s’attachera à l’assassin, Caïn. Il poussera le lecteur à suivre pas à pas le coupable invisible vers son frère, laissant imaginer jusqu’au bout qu’il le sauvera. Quant au polar, il s’intéressera à la victime, Abel, en partant de la scène du crime. Il cherchera l’auteur du massacre, psychologiquement, scientifiquement, humoristiquement, ou bien sociologiquement.

Enfin, le roman d’espionnage se reculera dans une vue d’ensemble de la scène, intégrée dans l’histoire. Il cherchera quel espion a armé le bras de Caïn, quelle désinformation aura persuadé le tueur si jaloux de se croire mal-aimé de Dieu, à cette période précise de l’histoire de l’humanité, lui, le représentant du monde sédentaire naissant, face au bel Abel plus aimé de Dieu, le nomade attaché à la liberté des premiers temps, quel camp, enfin, aura cassé le momentum historique de la paix entre ces deux camps, celui du Diable, ou bien de Dieu.

Parce que le roman d’espionnage de John le Carré, incarné d’abord dans la Guerre froide, est la confrontation de deux camps. Comme mon héros François Carignac l’explique dans Le Jour du Mur, l’espion est un funambule de frontières, il est en équilibre, face à son reflet. Quand il met le même pied que son double, à l’Est ou à l’Ouest, alors l’autre le pose à l’opposé en une parfaite symétrie. Il n’y a plus de Bien et de Mal, il y a un miroir qui explique l’Histoire.

« Le roman d’espionnage est le seul outil objectif pour raconter l’Histoire » disait John Le Carré dans une interview, parce qu’il se positionne sur ce fil ténu de la fiction qui décrit sa vérité vue par le facteur humain, loin de l’écriture des historiens contaminée par le parti pris des seuls faits avérés.

Ceci posé, j’ai eu quelquefois un certain malaise à la lecture de John Le Carré, non à cause de son génie de l’écriture et du montage des scénarios, mais en raison de la pauvreté de sa traduction qui me forçait à me plonger douloureusement dans sa langue d’origine. Lire Le Carré et ne pouvoir le comparer à la langue d’un Vladimir Volkoff dans Les Humeurs de la Mer, ou bien l’esthétisme ironique du mot d’un Percy Kemp dans Le Vrai cul du diable (une histoire de miroir, encore) est une faiblesse redondante de ses traductions. Cette version Gallimard de Marcel Duhamel et Catherine Grégoire fait oublier celles des Perrin, mère et fille, et il faut s’en réjouir.

L'Appel du mort fut le premier roman publié en 1961 par John Le Carré, de son véritable nom David John Moore Cornwell, alors employé par le MI6, le service secret extérieur du Royaume-Uni, après une carrière qui le fit commencer par les Affaires étrangères, puis le Renseignement en Allemagne, avant de finir comme beaucoup de ses collègues, sa couverture brûlée par son ami et agent double du KGB, Kim Philby.

Il faut donc lire le roman d’un jeune écrivain meurtri, en le remettant dans le contexte de la Guerre froide, mais aussi autour de l’infinie amitié qui peut lier des officiers de renseignement d’un même réseau, dont l’un des plus éminents de ses membres se retrouve soudain à Moscou, claironnant qu’il a trahi, qu’il a jeté ses hommes dans les caves de la Loubianka et surtout, le plus douloureux pour tous, seulement par conviction.

Vous lirez sans hésitation ce roman, parce qu’à mon avis, il s’agit de l’un de ses meilleurs, une parfaite initiation au genre, juste avant la série qu’il continuera dix ans plus tard autour du même héros George Smiley, La Taupe, Comme un collégien, Les Gens de Smiley (les meilleurs) et les suivants. On plonge dans le texte en noir et blanc, musique de jazz et brouillard londonien assurés, pour y retrouver cette guerre de l’ombre que l’agent, cet homme ordinaire, fait par devoir de caste ou par vocation, tout un monde usé par la guerre, déçu que la leçon des millions de morts ne fût pas la dernière. Ces lignes prennent un sens diablement contemporain aujourd’hui. C’est aussi pour cela qu’il faut lire L’Appel du mort de John Le Carré. On lui fera une place de choix dans sa bibliothèque, pour ne plus s’en séparer.


Patrick de Friberg


John le Carré, L'Appel du mort[Call For the Dead], première parution en 1961, trad. de l'anglais par Marcel Duhamel et Catherine Grégoire, Gallimard, "Folio policier" (n° 765), 10-04-2015

3 commentaires

En quoi la traduction de Marcel Duhamel, qui date de 1963, est-elle "nouvelle"? Sauf erreur, les soeurs Perrin n'ont commencé à traduire John Square qu'avec la Maison Russie. Et, sauf erreur, les soeurs Perrin ne sont pas soeurs, mais mère et fille.

Corrigé ! Merci !

en revanche, je n'ai pas parlé de "nouvelle" traduction, mais je trouve que celle-ci est bien plus proche de l'esprit du texte original.

Le romancier espion britannique derrière des dizaines d'oeuvres dont L'espion qui est venu du froid est mort à 89 ans à Cornwall (Angleterre). Le Carré, de son vrai nom David John Moore Cornwell, est mort d'une pneumonie selon le communiqué de son éditeur. John le Carré était un géant incontesté de la littérature anglaise. Il a défini l'ère de la guerre froide et a dit la vérité sans crainte au pouvoir dans les décennies qui ont suivi. https://www.avis-de-deces.com/deces-celebrites/2539/John-Le-Carre