Quand Georges Picard veille au grain

Dans sa largesse d’esprit Georges Picard – philosophe polémiste – rend aux ambitieux tout de qu’il leur doit  : « Je remercie les ambitieux de s’occuper du monde à ma place ». Mais l’auteur prend soin de préciser que « Leurs récompenses - l’argent, le pouvoir, la fierté - ne me paraissent pas suffisantes pour compenser l’aliénation du sentiment intérieur. » A l’ambition il préfèrera toujours l’orgueil du solitaire. En épistolier il la claironne à son correspondant : vieil ami retrouvé mais qui a troqueé, l’âge venant et non sans lâcheté sa propre misanthropie aux délices du stupre et de la fornication auprès d’une douce mégère qui l’a apprivoisé.


Pour sa part Picard reste l’atrabilaire adepte d’un étrange festin de Pierre où il n’y va pas de mains mortes pour adresser au monde diverses imprécations puisque ce dernier se charge de fausses valeurs. Empêcheur de tourner en rond le loup solitaire dit son fait aux conformistes de marivaudage, du déroulage de tapis, aux consensuels « bobobinards » et intégristes tout crin, officiers sans réserve des idées reçues. Moins astucieux toutefois qu’un Houellebecq il préfère le logos imprécateur à la fiction. Si bien que son pamphlet « sent » quelque fois la pose. Mais cette « lettre ouverte » demeure énergisante. Son Red Bull littéraire abreuve des nécessaires rebellions. Il met à nu ce qui affecte l’intelligibilité.


Le texte n’est cependant jamais marqué du poinçon de la nostalgie qui l’assujettirait à la soumission de quelque chose d’un romantisme fadasse sous le prétexte de se débarrasser de la part la plus désolante du monde tel qu’il est. Il s’agit à son auteur de cerner de plusieurs côtés la perte et laisser le champ libre à tout ce qui pourrait advenir. Le livre prouve qu’il faut entretenir un humour tatillon afin de dénoncer la cuistrerie. Sous prétexte d’exercice de lucidité celle-ci fait de nos penseurs les Homer Simpson de l’intelligence. C’est dire combien  elle est contrariée.


Jean-Paul Gavard-Perret


Georges Picard, « Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place », Editions Corti,  Paris, 2015

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