Écrire des lettres

J'ai encore bien connu les mœurs ancestrales de ces générations au sein desquelles l'on s'écrivait souvent, beaucoup, avec plaisir ; en tout cas bien davantage et mieux qu'aujourd'hui où les liens familiaux, amicaux, amoureux et autres, utilisent de nouveaux canaux et supports certes techniquement plus rapides et performants mais rendent, par contre, hélas – en modernes palimpsestes qu'ils sont –, les contenus beaucoup plus sobres, furtifs, parfois même entièrement formulés par abréviations ou raccourcis et toujours extrêmement éphémères : à peine lus, tout de suite détruits !
Les boîtes aux lettres ne recevant, elles, bientôt plus, il faut bien le dire, que sèches factures plus ou moins salées, amendes amères et foisonnantes publicités pour la plupart mensongères !

Témoignages parlants, précieuses sources de renseignements de toutes sortes, en tout genres, ces feuillets manuscrits alors souvent rédigés d'un seul trait, à chaud, sur le vif, en direct, parfois à la hâte, restituaient par ailleurs, en toile de fond, l'ambiance et l'esprit dans lesquels était individuellement vécu le quotidien comme l’exceptionnel de certains événements, personnels ou pas, en telle ou telle scène de l'histoire de chacun.
À telle enseigne qu’écrire une lettre n’était-ce pas, au fond, d'abord s'écrire, se confier – non comme en secret, mais en filigrane – à soi-même ? Car ne s'agissait-il pas là, parallèlement au fil des envois aux uns et aux autres, d'un continuo, d'un jalonnement pour faire le point à mesure, garder pied et préciser le cap dans l'orientation, la poursuite et le déroulement, de chacune des toutes particulières étapes en paliers inhérentes à chaque chemin de vie ?

Aussi, ne pourrait-on pas reconnaître dans l’exercice épistolaire, les qualités de partage – et les défauts aussi ! – d'une forme de journal de bord, de carnet de route, ne serait-ce qu’au simple bon prétexte de vouloir par là donner des nouvelles ou bien demander quelque chose à quelqu'un ?

Mais le genre se trouve être à la fois à géométrie variable et à large spectre : auteur de milliers de lettres, le facteur-poète Jules Mougin s’en est le plus souvent servi, lui, dessins à l'encre de Chine ou au crayon à l'appui, pour apostropher, remuer quelque peu les tripes et, le cœur battant, tâter aussi, en même temps, celui de ses contemporains.
Quant à Van Gogh en ses lettres, il y compose trait pour trait, extrêmement fidèle à lui-même, un Livre d’Heures intime, jusqu'à l'âme, tandis que Madame de Sévigné filme sans cesse tout autour d'elle pour sa fille...
 

André Lombard

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