Le mariage heureux selon les époux Sollers/Kristeva

Du mariage considéré comme un des beaux-arts disserte sur le thème  de l’amour  dans le lien du mariage à travers  quatre échanges entre  Philippe Sollers et Julia Kristeva, datant de 1990 à 2014 (les propos de ces différents dialogues sont parfois redondants et  le 3ème texte, Enfance et jeunesse d’un écrivain français me semble hors sujet).

Leur union  dure depuis près  de 50 ans. Ceux qui connaissent leurs  écrits  ne seront pas étonnés  de la teneur lumineuse des propos  tenus lors de ces conversations qui célèbrent avant tout l’intelligence de l’autre, intelligence dans le sens  entendement car il s’agit bien d’être en intelligence avec l’autre pour que le lien amoureux perdure dans le mariage, et si cela vaut bien sûr pour tout lien amoureux qu’il soit validé ou non par un contrat, il est enthousiasmant  de partager une idée tout à fait jubilatoire du mariage très loin de celle si formatée et  suicidaire du couple séculaire.


Ph.Sollers et J.Kristeva ont reconnu  et accepté dès leur rencontre l’étranger qu’ils étaient l’un pour l’autre, cette reconnaissance est selon eux la base indispensable pour construire un mariage solide. Très loin de l’amour fusion/osmose qui n’est selon eux qu’un leurre casse-gueule, le lien doit se tisser de complicité et de curiosité de l’autre. Il n’y a pas d’amour si on reste dans la posture du refus de la différence. Il ne s'agit pas d'avaler  l’autre mais de le remettre sans cesse au monde.
Le mariage n’est pas le résultat de l’addition de deux entités, Sollers d’ailleurs déteste le mot  couple qui annule l’unicité, la singularité. Bien au contraire le mariage serait plutôt le chiffre 4, l’adjonction  du masculin/féminin  et  du  féminin/masculin des deux  époux, ce qui suppose du reste, qu’on ne prendra pas tout de l’autre.

Il n’y a rien à s’approprier chez l’autre,   le lien amoureux  qui dure s’accorde des étrangetés de l’autre, se nourrit de deux libertés et ajuste constamment leurs contradictions. 

Ils ont connu la liberté sexuelle des années 68.  Julia Kristeva , lucide, dit que l’un et  l’autre sont  trop imbus d’eux-mêmes et de leur amour pour craindre un rival ou une rivale. Ils  ont ailleurs d’autres histoires de cœur ou de corps mais la nature de leur amour est bien au-delà de cela.  Ce qu’ils donnent à d’autres ne leur enlève rien. La confiance en soi est primordiale affirment –ils en chœur, celle que l’on acquiert dans l’enfance et qui nous rassure sur nos capacités à être aimé.

 Philippe Sollers est libertaire,  d'humeur légère, il aime la chair joyeuse, il est extraverti mais cultive   le secret (Sartre et Beauvoir sont pour lui des terroristes libertaires avec leur devoir de transparence), et  ne conçoit pas le contrôle sexuel sur l’autre.

Julia Kristeva, rodée à l’adaptation est plus introvertie mais elle croit moins à la faisabilité du secret total lorsque l’autre caracole ailleurs. Parce que tout se ressent lorsqu’on est attentif à l’autre dit-elle. La jalousie peut érafler parfois mais sans provoquer de sentiment de trahison,  ce n’est pas  l’infidélité sexuelle qui importe tant. La fidélité  que plébiscite Julia Kristiva  c’est la stabilité, la protection, la réassurance dans la durée.  Sollers, lui,  peste contre l’air du temps,  le sexe censé dire le vrai, le tout, chez l’être humain, en ignorant le reste : la permanence du sentiment dans le temps, la réussite dans la pensée. C'est aussi pour cette raison qu'il ne trouve ni  importante ni nécessaire l'exclusivité sexuelle.


Sollers et Kristeva défendent surtout deux choses, d’une part l’idée du lieu , leur mariage est un lieu, un repaire et  un repère, un espace d’échange et de connaissance sans cesse réactualisé où l’on doit être, ensemble, et d’autre part la nécessaire expérience intérieure comme outil de connaissance, loin de la communication à outrance dans une société du spectacle qui dissout. 

Par exemple l’expérience intérieure de l’enfance, les époux se sont raconté la leur mais ce sont surtout nourris de l’enfance de l’autre . La rencontre d’amour entre deux personnes, c’est l’entente entre deux enfances. Sans quoi, ce n’est pas grand chose.(Sollers) .


Faire revivre  ensemble la mémoire sensorielle de l’enfance, parce que l’amour doit la  raviver. Faire  renaître sans cesse c’est la gageure du  lien amoureux qui dure.
Bien sûr le discours de Julia Kristeva est fortement ancré dans la psychanalyse tout comme celle de Sollers dans la littérature et la philosophie et leurs échanges dans ce livre sont riches de référents.  Le mariage au long cours façon Sollers/Kristeva c’est parcourir l'existence  ensemble  avec des bagages culturels  et sensoriels. Durant ce voyage, il faut avant tout avoir soif et faim, engranger, désirer,  lire, penser, se servir du langage, partager des silences, acquiescer au  pardon, à mi-chemin du déni et de l’acceptation  entreprendre la traversée de l’impossible, sans peur. 

Mais, hélas... dirais-je puisque cela restreint fortement le cercle des heureux élus, il y a un préalable à la pérennité de ce mariage heureux :  les époux doivent être autonomes financièrement et si possible avoir des revenus identiques, Sollers et Kristeva sont formels 

-  Nous parlons du comportement d’individus économiquement autonomes. Sinon, la discussion serait impossible. (Kristeva)

Nous y voilà... le bel amour fait allégeance à la tyrannique finance... mais  j’ajoute en plus à ce pré-requis,  un  narcissisme assumé et l'indispensable et précieuse  culture, pour pouvoir discuter des sophistications de l’amour ou des problèmes de fidélité. Parce que les époux construisent leur relation d'amour durable  avant tout avec leur intellect, l'esprit aussi glouton que la chair, se bâfre joyeusement.


Bref,  résumons, si vous êtes chômeur ou gagnez moins que votre conjoint(e) et si vous lisez Musso  plutôt que Nietzsche ou Hegel sur la plage de l’île de Ré, ou vous vautrez dans l’indolence  (n’est pas Lichtenberg qui veut) n’espérez pas trop atteindre l’état de grâce de ce mariage élitiste :  les époux Kristeva/Sollers voyagent au long cours blindés de trésors intellectuels. 

Toutefois, sans être   éligible selon leurs critères,  on peut croire très très fort à cette vision de l'amour et en chercher une adaptation qui s'émancipe de l'aspect financier. Est-ce si impossible ?


Anne Bert


En librairie le 18 mai 2015.


Julia Kristeva et Philippe Sollers, Du mariage considérée comme un des beaux-arts, éditions Fayard,  18 mai 2015, 164 pages, 14 euros

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