Julie Safirstein "lectrice" de Rûmi : face à ce qui se dérobe

                   

 

 

 

Julie Safirstein s’est engagée à relever un défi. Celui de donner une lumière terrestre à ce qui pour Djalâl-od-Dîn Rûmî - poète mystique de langue persane du XIIème siècle - appartenait à un autre ordre. Beaucoup d’artistes avant elle ont tenté la même gageure et s’y cassant des dents. Ils n’offraient aux textes du poète que de pâles métaphores. Il est vrai que l’auteur se méfiait des images : « L'œil de la perception est aussi limité que la paume de la mais qui ne peut cerner la totalité d’un éléphant » écrivait celui qui précisait  « L’œil de la mer est une chose, l'écume en est une autre ; délaisse l'écume et regarde avec l’œil de la mer ». L’artiste y parvient en sortant l’être de ses yeux aveuglés et répondant à un autre vœu du poète : « Nous nous heurtons les uns contre les autres comme des barques ; nos yeux sont aveuglés ; l'eau est pourtant claire. Ô toi qui t'es endormi dans le bateau du corps, tu as vu l'eau ; contemple l'Eau de l'eau ».

 

L’artiste fait mieux : de la contemplation elle passe à la métamorphose des mots eux-mêmes. En effet elle donne par ses peinture une autre dimension (et non un reflet) au langage du poète qui écrivait  « La parole est un prétexte: ce qui attire l'homme vers l'homme c’est l’affinité qui les lie, et non la parole ». Lui privilégiant l’image et à partir d’un quatrain où Rami écrivait « Je lève la tête comme un arbre / afin que l’eau de la vie / tourne autour de mes fleurs »  Julie Safirstein tient la promesse et l’appel que le poète lui-même n’osait sans doute espérer. Remontant à des formes  simples, profondes, colorées l’artiste exhume l’être de son état d’oubli et de détresse. Détricotant les notions de figuration et d’abstraction elle donne forme à un secret qui se fomente entre  la peinture et le poème, entre le réel et le surréel.

 

Les images de l’artiste ne tournent pas autour du poème : elles jouent avec lui, le pénètre en accordant un possible à l’innommable et l’invisible. Face à la peur du poète qui craignait que le monde des mages reste infirme, Julie Safirstein en ressaisit les fleurs à peine décelables. Elles enveloppent le corps nu du poème, aspirées au centre du mouvement qu’elles créent.  L’œil n’est plus noyé dans l’obscur. La peinture évolue entre ici et là-bas, aujourd’hui et hier. Une intensité primaire la porte vers l’élan d’un face à face espéré avec tout ce qui reste d’espoir muet à l’être. Bref la beauté des images s’accordent à celle du poème. La peinture offre à celui-ci dans le présent et par delà les siècles des rhizomes et une préhension particulière. Si bien que la jeune artiste  accrédite ce que l’auteur disait de la femme : « le rayon de la lumière divine ».

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 


Julie Safirstein, « Rubâi’yât », Maeght Editeur, Paris. Edition de 10 exemplaires  réalisée sur papier Vélin BFK Rives 240g. Chaque ouvrage est unique. Le texte est imprimé avec des tampons, en caractère Garamond. Le livre est peint à la gouache et découpé à la main par l’artiste, relié et mis sous coffret dans les ateliers Arte, Adrien Maeght à Paris en janvier 2014. Cette édition est visible à la galerie Maeght à Paris ainsi qu’à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence.
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