A Argol, il n’y a pas de château. Philippe Le Guillou fait revivre Julien Gracq

Julien Gracq fut, probablement, l’un des écrivains les plus secrets de ceux qui ont traversé le vingtième siècle. Né en 1910 dans le Maine-et-Loire, à saint-Florent-le-Vieil, il mourut à Angers en 2007. Dans l’intervalle, une œuvre somme toute peu fournie, compte tenu de  la  longévité de son auteur. Secrète, elle aussi. D’accès ardu. Tout le contraire de ce qu’il est convenu d’appeler « littérature populaire ».Elle tient en deux volumes de la Pléiade où il entra, fait rarissime, de son vivant.

 

Une œuvre variée dans sa forme, marquée en plus d’un endroit par l’esthétique surréaliste. La fiction y voisine  avec des réflexions sur la littérature et la géographie, des fragments d’autobiographie, des considérations sur la critique littéraire qu’il récuse, du moins dans ses formes extrêmes, ou extrémistes – celles que Raymond Picard englobait dans la formule « nouvelle critique » pour en dénoncer l’imposture. De même reste-t-il en marge des courants dominants de son époque, engagement prôné par les existentialistes ou Nouveau roman  Sa discrétion l’empêche, en 1951, d’accepter le Goncourt attribué au Rivage des Syrtes, son roman le plus connu. Le facétieux Raymond Queneau l’annonça ainsi aux journalistes : « Le prix Goncourt 1951 est attribué à Julien Gracq pour son roman Les Ravages de Sartre. »

 

André Breton avait aimé son premier livre, Au château d’Argol, paru en 1939. Rien d’étonnant. C’est un livre  romantique comme peut l’être Nadja, marqué par le surréalisme et où s’ébauchent déjà les thèmes qui courront en filigrane dans le reste de l’œuvre.  L’essai de Philippe Le Guillou A Argol, il n’y a pas de château fait explicitement référence au titre de ce roman.

 

Un essai qui regroupe des textes indépendants les uns des autres, écrits à diverses époques entre 2006, quelques mois avant la disparition de Julien Gracq, et 2014. Il se clôt sur des Fragments d’un journal à venir, écrits entre Paris et Saint-Florent-le-Vieil, la patrie de l’écrivain où Philippe Le Guillou est maintes fois venu rendre visite au « maître des sortilèges d’Argol et d’Orsenna, un témoin considérable, un veilleur alerte et vif  » qu’il qualifie plus loin de « guetteur lucide, implacable, d’une courtoisie sans défaut ».

 

Nul, sans doute, mieux que l’essayiste ne peut se vanter de connaître aussi intimement l’auteur d’Un balcon en forêt. Il a entretenu avec lui, entre 1992 et 2007, une proximité qui en fait un témoin privilégié. Lui permet de saisir pour ainsi dire de l’intérieur la personnalité attachante d’un écrivain enraciné dans sa terre d’Anjou et, en même temps, « dans la tradition vive du surréalisme, obstinément, plénièrement, (…) toujours du côté de l’énigme, de la transgression, du basculement à l’appel de l’aimant des songes et des incandescences secrètes. »

 

Une telle empathie est fondée, chacun de ces textes en témoigne, à la fois sur le respect et l’admiration pour l’écrivain et sur une profonde affection pour l’homme.  Sans parler, il va sans dire, d’une connaissance précise de l’œuvre. Celle-ci donne lieu à des analyses perspicaces. Elle est le fruit d’un amour improbable, l’attachement charnel à la terre – celle, aride, dépouillée, d’Ardenne, des Landes, d’Aubrac, que Gracq, marcheur invétéré,  parcourut sans relâche – et d’une errance d’une autre nature, celle du rêve. Deux pôles entre lesquels oscille l’inspiration, dont elle se nourrit tour à tour, voire simultanément.

 

L’intérêt de ce recueil réside aussi dans des détails, des choses vues, des anecdotes. Ainsi de l’évocation de l’amitié ancienne, mieux, de « la complicité rare et choisie » qui unissait Gracq et Henri Queffélec, le Ligérien et le Finistérien. C’est, en définitive, une manière de kaléidoscope. Un polyptique proposant divers angles de vue, diverses perspectives, divers éclairages et qui finit par constituer un portrait étonnamment vivant. Et, à coup sûr, fidèle.

 

Jacques Aboucaya

 

Philippe Le Guillou, A Argol, il n’y a pas de château, Pierre-Guillaume de Roux, août 2014, 110 p., 18 €.

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