Sébastien Hoët et "La Contre-heure" – un premier roman à contre-courant

Armé d'une intrigue aussi simple qu'efficace et sous des airs faussement tranquilles, Sébastien Hoët se paie la médiocrité ambiante et les idoles de l'époque à travers les états d'âme de Gilles, un professeur de philosophie à la dérive, mécontent de tous et mécontent de lui – antihéros désabusé se débattant péniblement dans les couloirs de l'Éducation Nationale.

« Il en était à ce moment de la journée que les Italiens du Sud appellent la controra, la contre-heure, l'heure du suspens, de la cessation, l'heure du retrait [...] »

Dans la région de Lille, en arrivant au lycée, Gilles apprend que Victoire, une élève de première, s'est suicidée en se jetant du troisième étage de l'établissement. Dans la salle des profs, on découvre un homme dans un décalage intellectuel évident, tâchant tant bien que mal de faire bonne figure, moins ouvertement offensif qu'en phase de saturation intérieure. Autour de lui : Arsène, un type bavard dont Gilles semble tolérer la compagnie, et Esther, une jeune femme remarquablement bobo, mais dont le charme ne laisse pas indifférent. Une invitation pour assister à l'adaptation d'une pièce ouvrira les hostilités, avec notamment la description d'un microcosme théâtreux débordant de nullité.

 

Entre deux cuites où Gilles laisse éclater son mépris pour les productions actuelles, un nouveau drame semble prendre forme de façon nébuleuse. Une chose est sûre, trop jeune pour appartenir à la vieille garde des enseignants, Gilles se reconnaît encore moins dans la nouvelle génération. C'est aussi l'occasion d'une peinture au vitriol d'élèves toujours plus incultes et végétatifs, avec leurs variantes, leurs particularités, leurs exceptions et leur génie abyssal parfois. Dans un équilibre fiévreux, le professeur dresse alors un état des lieux, tente d'envisager une suite, la possibilité d'une cohabitation pacifique avec son environnement direct, mais le vertige s'accentue. En écho, Victoire répète ses derniers instants.

 

Au-delà du lycée, si l'auteur tire dans le tas, rien de gratuit dans les portraits sévères dressés tout au long du livre : figures emblématiques ou imposées du monde culturel, médiatique et académique tel qu'il domine de façon quasi exclusive depuis des années, malgré une perte de crédibilité exponentielle et quelques plombs dans l'aile depuis peu. Son approche est assez bien sentie, flirtant avec le burlesque parfois, n'épargnant pas non plus son antihéros dont il trace d'emblée les limites et les contradictions en le confrontant notamment au ridicule de la pose – autre fléau d'actualité – ce qui participe d'ailleurs à rendre Gilles plutôt attachant.

« Tout le lycée serait bientôt au courant. Il imaginait les premiers regards, les regards insistants des élèves, les plaintes des parents, puis la convocation de l'administration, la convocation de l'inspection, la convocation du recteur, la fin de la carrière, l'errance dans les terrains vagues de Loos, la nourriture à piocher dans les poubelles, l'aventure à coups de couteaux parmi les Roms, et son corps roulant au bas d'une pente de terril au milieu des chiens crevés, comme le Consul à la fin de Sous le Volcan. »

Avec ses petites humiliations et dans une lassitude sous tension, l'année scolaire va ainsi s'écouler, les dents serrées, à deux doigts du naufrage ou de l'explosion. D'un bout à l'autre, la voix spectrale de Victoire se fera entendre, rejouant son ascension fatale dans une étrange symétrie avec l'errance de Gilles embarrassé par son enveloppe charnelle, ses désirs, son passé, sa quête de sens et ses références. Bref, sans complaisance pour son temps, avec humour et intelligence, déployant un éventail d'images percutantes, ce premier roman tranche avec un éclat certain.

Arnault Destal

Sébastien Hoët, La Contre-heure, Kero, septembre 2015, 216 pages, 15,90 € 
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