Jean-Marc Fedida refait le procès Maurras

"Pourquoi revenir à Charles Maurras ? Est-ce opportun ? Nécessaire ? Légitime ? Il y a un an, je n’avais presque rien lu de lui. Son œuvre, peu disponible en librairie, retirée de nombreuses bibliothèques, m’était connue de seconde main. Dans ma jeunesse, on lisait parfois Barrès — Le Culte du moi figurait au catalogue du "Livre de Poche" —, mais Maurras était inaccessible"
Antoine Compagnon, "Maurras critique", RHLF, 2005/ 3 


Si Jean-Marc Fedida se trompe quand il affirme que le procès de Charles Maurras est celui du nationalisme contre la République, c'est surtout parce que relater ces cinq jours mémorables est pour lui l'occasion d'attaquer les nationalistes d'aujourd'hui, qui n'ont pas son affection... Mais quel rapport entre les antisémites affichés de l'Action française, qui s'en prenaient au "juif Blum" et les mouvements d'aujourd'hui ? Pour Fédida il s'agit sans doute des mêmes, mais qui, parmi les électeurs du Front national, car c'est sa cible, connaît l'œuvre du grand styliste que fut Maurras ? C'est pourtant ce qui ressort à la lecture de L'Affaire Maurras, une tentative de présenter le passé pour prévenir le présent du même danger supposé, bruits de bottes...

Charles Maurras est un personnage très complexe, qui touche à l'histoire littéraire et politique de la France, et qui marqua considérablement la première moitié du XXe siècle. Fédida est très injuste quand il met entre guillemets le continent littéraire de Maurras, quand il le traite de fou, qu'il accumule les adjectifs péjoratifs et méprisants... Certes, remis à l'aune de notre XXie siècle, les positions violemment antisémites de Maurras ne sont pas tenables, mais faut-il rappeler que l'époque elle-même était antisémite et que l'antisémitisme d'alors n'était ni celui des pogroms russes ni celui des camps de concentrations allemands ? Bien sûr, cela n'excuse rien, et cela n'est pas notre propos, mais cela peut expliquer une certaine "humeur" du temps, celui où le journal La Croix affichait fièrement son bandeau "journal le plus antisémite de France"...
La justice s'est prononcée : Maurras est coupable de collaboration active et d'intelligence avec l'ennemi du fait de ses articles dans l'Action française. Il est condamné à la réclusion à perpétuité le 28 janvier 1945, enfermé, déchu de ses titres de gloire et couvert de l'indignité nationale. Les faits qui lui sont opposés ne peuvent pas être atténués par son idéalisme, et sa défense purement intellectuelle s'écrase contre un juge conscient de sa mission et le poids du monde entier représenté par la marée de journalistes venus couvrir ce grand événement politique d'une France qui tentait de stigmatiser quelques uns pour ne pas se condamner elle-même dans son ensemble. 

D'un point de vue historique, rien n'est faux, bien sûr, mais Fédida est assez roué comme avocat pour savoir que les faits peuvent être instrumentalisés, ce dont il ne se prive pas. Surtout, on parle d'un Maurras tel que défini par son outrance antisémite mais rien sur l'homme politique qui tenta d'influencer Benito Mussolini pour qu'il se déprenne de l'influence hitlérienne, qui fut un adversaire acharné du IIIe Reich, et qui fut, avant tout, un grand romancier attaché à la Patrie. 

A quoi bon, cependant,  car quels sont aujourd'hui les lecteurs de Maurras, dont un chercheur comme Antoine Compagnon se plaignait de voir les oeuvres absentes de tout rayon quand il voulait étudier son oeuvre ? Fédida exhume avec beaucoup de mépris le fantôme d'un grand écrivain pour l'agiter devant des gens qui n'en savent plus rien, disons, par clientélisme... 

Loïc Di Stefano

Jean-Marc Fédida, L'Affaire Maurras, L'Âge d'Homme, janvier 2015, 19 eur
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